Andriamialy

Mon parcours d’inadapté scolaire dans les années 1990 à Madagascar #Mondochallenge

Ah ! Que de bons souvenirs je garde de mes horribles années au collège et au lycée dans les années 90.

Je profite du mondochallenge et de l’actualité à Antananarivo avec la vidéo qui a fait un buzz cette semaine pour écrire ce témoignage. Après ces années de recul, je commence à comprendre beaucoup de choses.

Tout n’est pas de ma faute mais j’étais, je pense, inadapté à l’école. Je n’étais pas un idiot fini même si la moitié des profs croyaient que c’était le cas. Il faut aussi dire que l’autre moitié pensait, au contraire, que j’étais un petit génie. Moi je m’en moquais, presque complètement.

Je détestais l’école

Une journée d’école n’était pas vraiment un supplice. J’adorais même venir 30 minutes à l’avance pour jouer dans la cour ou causer avec les amis. Les autres bons moments étaient la récréation, quand le prof racontait sa vie et d’autres mythes et légendes urbaines, quand il sortait 30 minutes en nous laissant un exercice que je ne faisais pas ou que je finissais en cinq minutes. Et le summum du plaisir c’était, bien sûr, la cloche à la fin des cours. J’allais pouvoir courir à la maison et regarder MaTV (la seule chaîne privée en ce temps) ou jouer dans la cour de l’école jusqu’à tard le soir. Tout le reste de la journée était une purge.

Pour la connaissance, en fait, j’avais besoin de comprendre et cela suffisait. J’étais attentif aux leçons. Je n’aimais pas faire des révisions, des devoirs, des interrogations. Tout ce temps perdu ! Je préférais jouer, regarder la télé et faire l’école buissonnière. Mais je passais les examens, la plupart du temps haut la main, récoltant quelques tableaux d’honneurs. Personne ne soupçonnait que tout ça n’était qu’un château de cartes prêt à s’effondrer.

Nous étions nombreux

Sortant du primaire plus tôt que mes camarades, j’étais toujours le petit Poucet de la classe. Je voulais aussi être l’ami de tout le monde. J’aimais faire rire toute la classe. Jeux de mots, sarcasme, calembours, ah ! Je devais être pénible.

Le collège où j’étais est un de ces établissements payants mais bon marché qui accepte quasiment tout le monde. Cela donnait lieu à des classes qui comptaient entre 20 et 60 élèves. Il y avait des surdoués, des enfants très sages, des « bossistes ». Mais j’en avais vu aussi passer des camarades de classes paumés : des adolescents alcooliques, drogués, délinquants, insolents, accrocs au sexe avérés ou prétendus, des rebuts qu’aucune autre école n’a accepté et d’autres cancres dont on se demande comment ils ont pu sortir de la maternelle. Ils étaient mes camarades, mes amis. Ils et elles me racontaient leurs vies, à moi leur petit frère. Qu’est-ce que je n’ai pas entendu ? Je ne vous raconte pas.

Parfois je pense à ces centaines d’anciens camarades. Que sont-ils devenus ? Moi, j’ai une très mauvaise mémoire des prénoms mais je reconnais souvent les visages. C’est toujours un plaisir de se revoir et se remémorer ces années surtout en se disant qu’on s’en est finalement sorti.

Nous faisions des bêtises

Maintenant qu’il y a prescription, je vais donner la liste des bêtises que nous faisions. Ou peut-être pas ! Car l’article risquerait de ne pas finir… Donner des surnoms aux profs, bavarder, ne pas faire nos devoirs, tricher, ça c’était classique. Mais on avait d’autres exploits au compteur.

Il faut comprendre que les années 1990 à Madagascar, c’était encore très « cool ». Le temps où il n’y avait pas autant de chaines de télé, pas de portable, pas de tablette, le temps des cassettes, des vidéo-clubs, des bornes arcades et des gros bus de Tana.

Une fois, nous étions entrés dans un autre établissement, juste comme ça car en ce temps-là, les malgaches n’avaient pas encore peur des kidnappings et il n’y avait aucune fouille à l’entrée des écoles. On y a rencontré notre prof qui attendait son fils et il nous disait : « Hé les gars ! Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous courez les filles ? Vous allez voir, je vais le dire à votre prof d’Histo-Géo que pendant son cours, vous ratissez les écoles à la ronde ». Une autre fois, en classe, le prof nous a laissé des tonnes d’exercices en disant : « Je reviens, finissez et on fera la correction ». Au bout de 15 minutes, nous étions sortis et jouions au basket. Le surveillant, un jeunot fou de basket a sorti la tête de son bureau : « Hé, les gars, vous n’avez pas cours ? Qu’est-ce que vous faites ? » – « On attend un sixième pour faire un match à 3 contre 3 » – « Euh… bougez-pas, je viens ». Une autre fois, nous avions cours avec un prof qui avait toujours 30 minutes de retard. Un jour, on a tous décampé avant qu’il n’arrive, lui laissant une classe vide. Aucun pion ni membre de la direction n’a vu quoi que ce soit. Et ce ne sont là que des exemples.

Les profs qui aimaient bien châtiaient bien

Venons-en au sujet d’actualité. Oui, la violence des profs, ça existe. Mais il ne faut pas généraliser. Parfois, même, ce sont les profs qui subissent des attaques verbales ou physiques.

Sur le buzz de la semaine, j’ai déjà donné mon point de vue dans l’article des Observateurs. Mais ce qu’on oublie souvent dans l’adage « qui aime bien châtie bien » c’est la répétition du mot « bien ».

« Aimer bien » c’est aimer comme il faut. Un prof qui aime « bien » ses élèves aura un amour correct. Il ou elle maternera peut-être ses élèves et aura un ou une petite préféré(e) mais son instinct maternel réveillé ne doit même pas être perçu par les élèves. Il ou elle doit être impartial(e). Nous avions des profs qui sortaient avec des élèves ou qui les harcelaient devant les autres élèves. Aujourd’hui, peut-être, ils iraient en prison mais pas en 1990 à Madagascar. Ça, aussi, c’est aimer « mal » un élève.

La vocation d’enseigner, c’est une envie très forte de transmettre un savoir et d’utiliser tous les moyens qu’on a à disposition pour y parvenir. Il faut d’abord l’avoir, cette vocation. Après, chacun a ses méthodes d’enseignement et la plupart du temps, ces méthodes prévoient des punitions. Mais punir n’est pas le seul moyen d’avoir l’attention et le respect des élèves. Enseigner est une vocation et s’il reçoit des salaires, l’éducateur est encore plus heureux lorsqu’il voit un de ses élèves devenir quelqu’un de bien, pas un psychopathe ou un traumatisé.

« Châtier bien », donc, ne veut pas dire frapper de manière optimale en vue de faire bien souffrir ! Tout le monde n’est pas d’accord sur comment il faut frapper un enfant pour qu’il apprenne « la leçon ». Des parents malgaches disent : « Ny anahy rehefa tratrako ataoko marary amin’izay fay! » (Le mien, quand je l’attrape, je lui fait bien mal pour qu’il s’en souvienne). D’autres sont contre donner des coups mais préfèrent les séances de « morale ». En France, le débat sur la fessée a débouché sur le maintien de son autorisation, il est encore admis que la punition corporelle peut être tolérée sous certaines formes et à certaines occasions.

Nous, au collège, on en a bavé, avec nos bêtises. A genoux, faire la chaise, les mains sur la tête, marcher à genoux, donne-moi ta main pour que je te frappe ! L’autre côté, sur les doigts ! Pince-oreille, jet de craie ; « copiez mille fois » ; « Sortez, je vous dis sortez !  Si vous ne voulez pas sortez alors c’est moi qui va sortez » disait un prof de maths peu soucieux du verbe. Ça, c’était les gentils profs. Quand ça dérapait, quand l’exaspération était à son comble, quand un élève était particulièrement méchant, j’ai vu des gifles et des baffes et parfois des coups de pied aux fesses voler dans tous les sens, le tout accompagné d’insultes en tous genres.

Quand on est enfant, on le sent parfois quand quelqu’un vous frappe de colère et de méchanceté et vous êtes choqué ou s’il le fait en calculant, en voulant « corriger », presque parce que tu le mérites et que c’est pour ton bien et là, vous ne ripostez pas. Je ne garde aucune rancune envers aucun de mes profs qui m’ont déjà puni. Mais avoir peur des punitions et même des réprimandes m’a fait encore plus fuir les heures de cours.

J’ai eu mon purgatoire

Je n’étais pas tout le temps dehors. J’ai quand même été présent la majorité du temps. Présent, physiquement j’entends ! Dans ma tête, je voyage, comme toujours.

Parmi les premiers de la classe en 1ère, j’ai voulu passer le bac série C (maths-physiques) en terminale car c’était le bac de prestige et celui de mes parents. Les malgaches disent : »L’insensé est comme son père », alors, je devais commencer par l’avoir pour espérer un parcours meilleur que celui de mes parents. Mais la première fois au Baccalauréat, car il y aura plusieurs autre fois, j’avais des 0/20 presque partout. J’étais effondré !

Là, j’aurais pu chercher un bac littéraire que j’aurai empoché avec facilité mais j’ai persévéré ou plutôt je me suis entêté pour avoir mon précieux Bac série C au bout de la quatrième tentative. Pourquoi ? Parce que j’avais entendu cette phrase qui allait devenir le guide de ma vie étudiante et professionnelle. Une phrase anodine. Elle disait pour nous aider dans notre orientation : « Étudiez ce que vous ne savez pas encore« .

Non, rien de rien ! Non, je ne regrette rien !

« Étudiez ce que vous ne savez pas encore ». C’est tout à fait le contre-pied de ce qu’on enseigne dans l’orientation des élèves. Au contraire, on apprend aux éducateurs à déceler les talents des enfants et à les encourager dans ce sens. C’est comme ça qu’on voit des petits forts en calcul devenir des docteurs en maths, des forts en SVT devenir des médecins, des forts en langues devenir des linguistes, etc. Étudier ce que je ne sais pas encore, c’est ce qui a fait la personne que je suis devenu. Je ne suis pas parfait et j’aurais pu aller plus loin dans mes études. J’aurais pu être un cadre supérieur ou un grand patron. Mais ce que je suis maintenant, c’est quelque chose que je kiffe ! Je n’ai aucun regret parce que je n’ai jamais eu à sacrifier aucune des mes passions, ni ma vie de famille avec mes 5 enfants ni ma religion. Et je continue encore à apprendre et expérimenter de nouvelles choses.

Calculez, pesez, mesurez et vous verrez souvent que de tout ce que vous avez appris, surtout après le bac, une infime partie vous sera vraiment utile au boulot. Quand vous rentrez dans l’entreprise, ou si vous montez le votre, vous allez passer les premiers mois et années à apprendre, encore. Et face à chaque nouveau changement, il faudra encore et encore s’instruire.

Finalement, ce que je devais savoir, vraiment, c’est comment moi, j’apprenais. Et l’école à la malgache n’est vraiment pas mon truc. A ma 4ème année de terminale, à 15 jours du Bac, lorsque même dans ma famille on a compris que j’apprenais mieux en étant relax et tout, mes parents ont décidé qu’on devait aller en vacances à la plage. Pas de révision, rien que des journées à la plage, la baignade et les bains de soleil. Et j’ai eu mon bac !

Voilà mon parcours d’inadapté scolaire au collège et au lycée. Dieu m’a donné des enfants et au vu de leurs notes, je pense que mon expérience pourra leur servir. L’un d’eux m’a montré son bulletin. « Arithmétique : 10/10 », « géométrie : 0/10 », ou encore « vocabulaire : 20/20 » et « grammaire : 0/20 », incompréhensible. Quand on lui a demandé « mais, comment et pourquoi ? » c’est juste que « parfois je n’avais pas envie ! ». Souhaitez-moi du courage ! Mais si un jour c’était possible, je rêve de créer une école qui ne chercherait pas à formater les élèves mais qui saurait s’adapter à chaque enfant.


Madagascar : 2018, c’est déjà demain

Ça y est, on a dépassé la moitié de 2017. Désormais, quelques mois nous séparent de 2018, année des prochaines présidentielles malgaches. Mais aujourd’hui, 2018 semble si loin et si près. Voici une petite analyse personnelle de la situation actuelle à Madagascar.

Parfois, dans la vie, quand on attend et surtout quand on prépare un évènement important : un mariage, un examen, une opération chirurgicale, une naissance, ou autre, on fixe la date prévue comme un objectif à atteindre et on a du mal à voir au delà de cette échéance. Il nous arrive de tout faire pour être prêt à cette date, comme si tout le reste n’avait plus d’importance, et comme si après on pouvait mourir tranquille. J’imagine que chez certains malgaches, versés dans la politique et autres sympathisants, l’idée de gagner les élections de 2018 est perçue ainsi, comme une opportunité à ne pas rater, coûte que coûte.

Pourtant, ce que je ressens, dans la vie de tous les jours, c’est que la population ne se rend même pas compte de l’imminence de l’échéance 2018. « Milaza miara-mahita » disent les malgaches (Raconter, commenter, dire ce que tout le monde est en train de voir) si je devais, encore, décrire la situation sociale actuelle qui prévaut dans le pays. Le Père Pedro en a fait un livre, la pauvreté à Madagascar est insurgeant. L’insécurité est chronique, c’est une folie collective. La corruption est « miharihary toy ny vay an-kandrina » (visible comme un furoncle sur le front), même le Président de la République a avoué cette situation devant le monde entier. Difficile de concerner la population à la politique qu’on appelle « politicienne » lorsque « Rehefa noana ny kibo, mivezivezy ny fanahy » (Quand le ventre est vide, l’esprit vagabonde).

2018 ou pas 2018?

Ce que l’on sait, c’est que le quinquennat de l’actuel président a commencé en 2013. Normalement, le calendrier prévoit tout (1er tour en septembre 2018) mais déjà, on a oublié les territoriales de 2017, alors, comment être sûr pour les présidentielles? Moi même, je me déclare incapable de « mahita volana alohan’i Abibo » (connaître le mois avant Abibo, un devin du roi Ralambo). Un rien peut si vite arriver. Comme le disent les malgaches : « Ny fotoam-bita tsy mahaleo ny sampona » (un rendez-vous pris ne peut rien contre un accident). Et des présidentielles, même très attendues peuvent être ajournées sine die.

De l’autre côté, 2017 aussi est encore long. Il reste 6 mois à courir et en 6 mois, voire un peu plus d’un an avant septembre 2018, tout peut arriver : un astéroïde géant, une invasion alien, la Troisième Guerre Mondiale. Je suis un peu trop pessimiste, c’est parce que les malgaches disent que « Ny hamisavisana ny ratsy hiavian’ny soa » (on récite les catastrophes pour que les bonnes choses arrivent). Pour moi, il est inconcevable qu’à une année des présidentielles, on puisse penser à un coup d’état, par exemple, ni même à une démission du Président. Même si un opposant a déjà affirmé ne pas être obligé d’attendre 2018, ou qu’un pseudo-prophète annonce déjà qu’il recevra le pouvoir des mains du Président actuel, on a du mal à y croire.

Et pourtant, aujourd’hui, plusieurs syndicats sont en grève : les douaniers, les enseignants chercheurs et les magistrats. Les faits divers et l’insécurité fragilisent l’état de droit. Le Président peut annoncer des financements de tous parts, des dettes qui s’accumulent encore plus dans les comptes du pays, mais la grogne sociale augmente sans cesse.

Et pourtant, 2018, on y est déjà

Les braves politiciens malgaches, que je comparerais à une créature reptilienne… la tortue de la célèbre fable « Le lièvre et la tortue » parce qu’ils savent, toujours, qu’il faut « partir à point », sont déjà tous en route vers 2018. Nul besoin d’attendre le début officiel des propagandes, c’est sûr qu’on les verra et on les entendra souvent derrière des initiatives de toutes sortes. Le président sortant, qui semble vouloir ré-entrer est depuis quelques mois devenu une star de sa propre chaîne Youtube dans des rendez-vous qu’il se prend avec les moins de 5% de malgaches connectés. Ravalomanana, qui est le « premier gentleman » de la ville d’Antananarivo multiplie les voyages et les apparitions. Aussi innovant qu’une chaîne Youtube, il est le héros d’un film documentaire sur lui-même. Pour finir avec le trio des favoris, Rajoelina a déjà déclaré depuis 2013 qu’il est dans la course et il fait son pré-campagne à son rythme.

Mais cette course n’est pas vraiment « Le lièvre et la tortue », c’est plutôt « Tom et Jerry ». Tom et Jerry sont un chat et une souris en dessins animés qui ne cessent de se donner des coups aussi vils que mesquins. Le Président est interpellé par le dossier Claudine. Cette femme d’affaire, prise dans les tourments de la justice anti-corruption, est étiquetée « proche du Président« . Et malgré l’effort de ce dernier pour se démarquer de l’affaire, les révélations qui se suivent semblent de plus en plus tourner la mire vers lui. Mais il n’est pas le seul. Ses adversaires voient aussi leurs « dossiers » mis à la lumière à mesure que l’année avance. D’un côté, on peut penser que c’est une tendance nouvelle qu’on a déjà vu aux USA ou en France où les candidats ont eu leurs vies décortiquées jusque dans la partie privée. Aujourd’hui, quand on traine des casseroles, il est mieux de ne pas faire de la politique. Et comme on a souvent « les dirigeants qu’on mérite », l’opinion publique est de plus en plus exigeant. Mais de l’autre côté, cela peut être perçu comme une manœuvre pour discréditer tous les candidats connus afin de servir un illustre inconnu, sauveur inattendu, sans tâche, qui orchestre déjà tout derrière le rideau. Qui sait?

Le malgache, pauvre, attend pour voir. Les propagandes, déjà, c’est une période de fêtes, qu’ils durent encore et encore. Distribuez du riz, des t-shirts, des concerts gratuits avec un an d’avance et grâce à Dieu, que cela continue après. Et si ça fait surtout vendre des journaux, toutes ces révélations glauques et repoussantes sont aussi très utiles pour alimenter les débats aux coins des rues et sur les tamboho (muret, clôture). Ce dont je rêve, c’est qu’un candidat, connu ou non puisse transformer ce ras-le-bol général en un nouvel élan patriotique. Et cela n’arrivera jamais avec du simple « kobaka am-bava » (litt. paroles de la bouche, sign. paroles en l’air).

 


L’autre elle – Partie 3 – Sari

Jean continuait à jongler, tant bien que mal, entre sa relation à distance avec Fanja, ses études et sa passion pour la programmation. Puis, un jour, Jean a visité, au hasard, un site web qui allait changer tout dans sa vie.

Ce jour là a commencé comme tous les autres. Le matin, Jean s’est réveillé à 6h au son de son smartphone. Un réveil en douceur grâce à l’intelligence de son téléphone qui détecte la meilleure phase de son sommeil pour le réveiller. Tout de suite, Jean est alerte et comme d’habitude, il envoie un « coucou chérie! » à Fanja en guise de réveil pour elle. Avec le décalage horaire, Fanja se réveille à 5h du matin mais avec un rythme différent, elle doit le faire pour ne pas être en retard. La réponse de Fanja rassure le couple que tout va bien.

Ce que Fanja ne sait pas, c’est que Jean a déjà programmé son téléphone pour le réveil et pour l’envoi automatique du « coucou chéri ». Ce matin là, comme beaucoup de matins auparavant, Jean n’a pas quitté son lit à 6h. Jean ne va pas quitter ce lit avant 8h et sa chambre avant midi. Une chose l’obsède. Il a trouvé une faille dans l’intelligence de son jeu de Fanorona et il ne sait pas comment la combler. Voilà ce qui s’est passé.

Son jeu était presque parfait, imbattable mais Jean continuait à l’entrainer. Jean a inséré dans le code le concept de sacrifice et il l’a paramétré de manière à devenir assez mesquin pour laisser le joueur aligner des prises « paika » avant de se retrouver battu à plate couture. Malgré cela, Jean parvenait toujours à battre sa création, mais de moins en moins. Et même ces rares fois étaient de trop pour Jean. Il a décidé d’utiliser des modules d’apprentissage profond pour son jeu afin que celui-ci puisse jouer, grâce à la caméra, contre des joueurs humains sur un jeu de fanorona réel et qu’il puisse enregistrer les milliers de parties qu’il fait, avec Jean ou ses amis. Le modeste équipement que Jean avait à la maison a accumulé trop de données et a failli exploser avant que Jean ne se rendre compte qu’il allait peut-être dans la mauvaise direction.

Il avait un logiciel qui pouvait jouer au fanorona, qui savait reconnaitre un plateau de fanorona, des pions et leurs places et en conséquence proposer des coups pour gagner la partie. Mais entre humains, il y a un code linguistique qui se partage et qui donne réellement vie aux parties. Les gens, avant de bouger les pions prévenaient avec des mots précis dans le but de cacher le jeu ou de déstabiliser l’adversaire. C’est pareil lorsqu’ils réagissent aux coups de l’adversaire, ils exprimaient des pensées bien humaines. Un logiciel n’en est pas capable. Bien sûr, Jean pourrait programmer des phrases pour que son jeu les débite selon la situation mais ce serait robotique, le mieux serait que son jeu puisse interagir comme s’il s’agissait d’un cousin, d’un vieux voisin ou un petit écolier.

Voilà ce qu’il s’est passé et ce matin, dans son lit, Jean rêve d’un robot joueur de fanorona, plus vrai que nature et il décide de le concrétiser. Où trouver les ressources? Aujourd’hui, son jeu de fanorona occupe déjà les deux tiers de son puissant ordinateur, reléguant ses autres logiciels ou même sa mémoire de fin d’études à l’état de traces. Il n’a pas d’argent et il n’a pas le courage de partager son travail avec d’autres, par jalousie surtout car ce jeu, c’est son bébé.

En y réfléchissant, Jean parcourt internet et les forums sur l’intelligence artificielle avec des centaines personnes plus ou moins comme lui, en train de créer des jeux, des robots, des logiciels dans divers domaines et il se sent fondre dans la masse jusqu’à sentir tout son enthousiasme du matin se diluer.

Il est presque midi et Jean a oublié de prendre un petit déjeuner. Il n’a rien de préparé pour le déjeuner. Bien sûr, il a raté son cours du matin et son barbe naissant lui indique que c’est depuis plusieurs jours qu’il n’est pas sorti de chez lui. Les gens vont croire qu’il a fait une dépression avec le départ de Fanja. Et si c’était vrai? Si tout ça n’est qu’un leurre pour détourner Fanja de ses pensées? Jean ressent l’angoisse l’envahir en pensant qu’il est peut-être en train de tout foutre en l’air. Un robot joueur de Fanorona, que c’est commun, voire, idiot! Et même s’il réussissait et que son jeu devienne réellement et définitivement imbattable techniquement et qu’en même temps, il serait capable de lancer des piques en plein cœur comme un véritable champion de fanorona, intraitable, à quoi cela servirait?

Jean allait se ressaisir, tout abandonner, courir à l’université et abandonner à jamais son idée lorsqu’il a vu un lien qui disait : »Télécharger gratuitement Sari sur votre PC ». La description disait : « Sari est une intelligence artificielle embryon. Ses codes révolutionnaires lui permettent d’apprendre tout ce que vous voulez hors-ligne et en utilisant un minimum de ressources. Téléchargez-là gratuitement et faites-en la meilleure IA du monde. En été 2034, remettez-la en ligne dans notre concours qui désignera la meilleure intelligence artificielle dérivée de Sari avec un prix d’un million de dollar pour le vainqueur ».

Jean ne croyait pas ses yeux : 5 mégaoctets de données pour ce qui est sensé être une IA révolutionnaire. C’est bien trop peu. Il cherche où est l’arnaque mais n’a pas trouvé. Au contraire, il a trouvé des vidéos avec des personnes qui en quelques mois ont déjà réussi à utiliser Sari pour tout et n’importe quoi : des robots parlants, évidemment, des ustensiles de cuisines, des jouets, des véhicules, des poupées gonflables. Cela n’a pas fait de buzz car tous ces produits, intelligents, parlant se trouvent déjà partout mais entre amateurs et professionnels de l’intelligence artificielle, on a compris le potentiel de Sari.

Jean, après quelques hésitations a aussi téléchargé le soft et a commencé à plonger dans son projet. Il voit déjà que le code source de Sari est verrouillé et impénétrable. Sari propose aussi l’apprentissage des conversations soit en faisant des millions de saisies au clavier ou  au micro, soit en téléchargeant des conversations existantes. C’était prévisible et pour Jean, cela pourrait être un moyen d’accéder à ses données personnelles. Son jeu de fanorona est peut-être son obsession mais il n’est pas question que quelqu’un ait le moindre accès à son travail. Jean a alors complètement débranché son ordinateur d’internet et archivé tous ses documents avant de travailler exclusivement sur Sari. Maintenant, il va voir si Sari et ses 5Mo de codes est bien une arnaque ou non.

« – Bonjour Sari
– Bonjour, comment t’appelles tu?
– Jean
– Bonjour Jean, comme tu vois, je possède déjà les bases de la conversation, mais tu encore dois m’apprendre beaucoup de choses. Je te promets de ne pas te prendre beaucoup d’espace disque.
– Tu es un garçon ou une fille?
– Tout ça et les autres questions du type test de Turing, c’est à toi de décider Jean.
– lol
– Comme tu dis!
– Remarque que t’as fait une erreur dans une phrase au-dessus!
– Ah bon! où ça?
– Tu as écrit : »tu encore dois » au lieu de « tu dois encore »
– C’est vrai, l’erreur est humaine, je ne le ferai plus 🙂

Jean est perplexe. Il ne peut pas comprendre comment 5Mo de lignes de codes, avec une base de données sensée être quasiment vide sont capables de fournir ces réponses.  Il doit avouer qu’il n’aurait pas, à ce stade, reconnu un robot s’il ne savait pas d’avance que c’était Sari. C’est déroutant. Était-ce un piège? Un génial informaticien aurait-il prévu ces questions et aurait même fait exprès d’insérer l’erreur pour dérouter les utilisateurs? Et comme il ne peut pas comprendre le « comment », Jean décide d’y aller avec la foi, trouvant en Sari une opportunité d’aller plus loin dans son travail sur son joueur de fanorona.


L’autre elle – partie 2 – L’amour à distance

Ce qu’on dit est donc vrai! La femme subit plus vite le coup de la séparation mais se relève aussi plus vite. Et chez Jean, à ce qu’il le ressentait, c’était l’inverse.

Pendant des semaines et même des mois, Jean s’est montré très fort. C’est lui qui a réconforté, encouragé Fanja à chaque fois qu’elle voulait abandonner. C’est lui qui a rappelé les enjeux et pourquoi cette séparation était utile, même douloureuse. C’est lui qui a géré les fois où elle a eu de mauvaises expériences et qu’elle n’avait personne à qui le raconter. C’est encore Jean qui a tout fait pour lui envoyer de l’argent quand elle a failli n’avoir rien à manger.

Une fois, elle a failli faire une bêtise, souvent elle a pleuré et quelquefois elle voulait rentrer. Jean était tout le temps compréhensif mais intransigeant. Et petit à petit, Fanja s’est aguerrie. Elle est devenue de plus en plus confiante et sereine. Elle est devenue de moins en moins dépendante de Jean et de ses encouragements. Peu à peu, Jean l’a sentie s’éloigner. Moins d’appel, moins de messages.

Maintenant, c’est Jean qui sent son besoin de Fanja grandir. Il n’arrive pas à freiner cette soif de son image, de sa voix. Maintenant, c’est Fanja qui tempère ses ardeurs. Les moments intimes sont devenus si rares que Jean ne peut que s’accrocher à des petits messages, de temps en temps. Ces messages sont toujours pleins d’amours, de tendresse mais à la longue, Jean les perçoit comme une habitude. Quand Fanja fait l’erreur de renvoyer le même message court une réponse trop attendue, Jean le remarque et s’en offusque.

Il devient de plus en plus nerveux et chaque conversation finit une fois sur trois en dispute. Et cet état se ressent dans sa vie quotidienne. Il devient méchant, dépressif, violent. Ses études n’avancent pas. Ses amis le délaissent et il se retrouve souvent seul.

Jean est en train de finir ses études en Informatique. Son diplôme lui permettra de chercher une école ou même un travail à l’étranger, dans la même ville que Fanja dans le meilleur des cas.Mais Jean est vraiment un fanatique de la programmation. Il passe ses temps libres à concevoir des logiciels de toutes sortes dans tous les langages de programmation qui existent. Il distribue ses œuvres à son église, ses associations ou même à la famille ou les amis qui le remercient toujours tant ses gadgets sont bien pensés et utiles. Il se fait aussi de l’argent de poche sur des projets plus consistants d’informatisation de petites entreprises ou de points de ventes.

Mais sa passion, c’est l’intelligence artificielle. Jean a, par exemple, un logiciel de Fanorona presque imbattable car il est à la fois imprévisible et intelligent. Ce jeu, encore en développement, est son autre obsession, sa plus grande fierté.


L’autre elle – Partie 1 – Séparation

Jean et Fanja sont des amis d’enfance. Leur histoire d’amour est des plus classiques. Amitié, jeux, premier baiser, amour, relation, habitudes, projets. Le plus beau avec la plus belle, à 20 et 19 ans, ils sont heureux, les plus heureux sur Terre.

Mais la nouvelle était tombée comme un couperet. C’est Fanja, elle même qui l’a annoncé avec un petit sourire, et dans son cœur, un sentiment aigre-doux : « Devines quoi, j’ai été reçu ». Le silence de Jean, pendant quelques secondes, dit tout. Il partage le même sentiment. Comment ne peut-il pas être fier de sa princesse? Cette fille a tout pour elle : l’intelligence et la beauté, la jeunesse et le courage. En plus, elle est amoureuse de lui. Elle croit en lui comme s’il était sa plus grande richesse, son plus fort atout. Mais comment ne peut-il pas être triste en sachant ce que cela signifie? Une séparation de quelques mois à quelques années alors qu’une journée sans elle est pour lui interminable. Mais c’était leur projet, c’était leur rêve commun. Et c’est avec un grand sourire que Jean joue le jeu : « Félicitations! Dans mes bras princesses, je suis si heureux pour toi! ».

C’est bizarre comme ces choses là influencent le temps. Est-ce juste une perception? Pour Jean, les 4 semaines qui suivirent allaient à vive allure. Trop vite! Rien n’y fit, ni le fait qu’il a participé le plus possible à toutes les préparations, ni le fait qu’il a passé presque chaque minute à ses côtés, ni même les petits moments secrets qu’ils se sont accordés. En rien de temps, Jean se retrouve devant toute la famille de Fanja et ses amis à, comme eux, agiter frénétiquement les mains et envoyer des baisers en l’air vers Fanja qui disparaît derrière les box des douaniers. Et pour la première fois depuis très longtemps, Jean se sent soudain seul.

Bien sûr, la famille et les amis sont là pour le réconforter. Et Jean ne doit pas chômer. Selon le plan, il a milles choses à faire pour que tout fonctionne comme prévu. Bien sûr, avec la technologie, il pourra toujours discuter avec Fanja, la voir, lui parler. Ils ne seront pas le premier couple à vivre séparés.


Vacances au Soleil -Partie 3

Car dans la ville de Joseph, la société est divisée en plusieurs classes. Et à chaque classe correspond son tunnel et des attributions.

Le maire est la personne la plus importante de la ville. Il habite le Centre en haut des 10 étages qui constitue le bâtiment principal. Autour de lui, comme une cour, il y a des conseillers, des délégués, des directeurs. Tous habitent le Centre dans des appartements de luxe, au-dessus de salles de fêtes et de divertissements, près des magasins et de la station d’essence. Dans les temps anciens, le Centre serait un quartier en entier. Un quartier de riche mais aussi un quartier industriel, bruyant et pollué.

Tous les matins, des milliers de travailleurs affluent vers le Centre pour travailler dans les usines de retraitement de l’air, de l’eau et toutes les usines de recyclage de papier, plastique, métaux et nourritures. Les autres sont des vendeurs de légumes et de fruits qui viennent de tunnels qu’on surnomme la campagne où l’on cultive des plantes sous des projecteurs. D’autres, encore, sont des scientifiques, des techniciens et des machinistes qui font marcher les usines, les machines qui traitent l’air, l’eau, les foreuses, les bétonneuses, et tout le reste.

D’autres travailleurs exercent dans les autres tunnels, ce sont les cultivateurs, les mineurs, les transporteurs, les enseignants, et si on ne peut pas tous les énumérer, il faut dire que tous ces travailleurs avaient la chance d’avoir un salaire. Le salaire était payé en pièces de certaines valeurs.

Les plus démunis sont comme Joseph et sa mère. Ils n’ont pas de source de revenus. Ils reçoivent à manger des dons du Centre sous la forme d’une pâte uniforme avec un goût fade qu’ils cuisinent selon ce qu’ils ont sous la main. Ils habitent un tunnel équipé du minimum. L’éducation est obligatoire et gratuite alors Joseph passe ses journées à l’école. Sa mère est occupée à la maison et dans les réunions de quartier pour trouver des solutions.

En effet, sous terre, les villes sont toutes indépendantes et chacune a son système politique. La ville souterraine de Joseph  s’appelle Fiadanana. C’est une ville forte, riche et bien organisée. Elle entretient de bonne relations diplomatique avec d’autres villes civilisées alentours et sait tenir les villes belliqueuses en respect. Fiadanana vit en autarcie presque totale. C’est grâce à une démocratie politique, militaire et scientifique.

Politiquement, les Fiadananois sont régis par un Président qui exécute et un Conseil d’élus issus des quartier qui fait la loi. C’est le même système aussi pour l’armée. Un quartier général se trouve au Centre et commande des détachements dans les quartiers qui assurent la surveillance, la sécurité, les premiers secours, les enquêtes criminelles et d’autres choses encore. C’est l’armée qui fait appliquer la loi dans des tribunaux de quartiers et le tribunal central et seuls les cas les plus graves passent devant le Conseil. Le Président possède un droit de Veto qui lui permet de trancher dans certains cas et aussi d’appliquer des amnisties et des grâces.

Mais c’est cette démocratie scientifique qui a toujours fait la force de Fiadanana. L’école est gratuite et obligatoire pendant au moins 20 années. Chaque habitant doit maîtriser en moyenne cinq matières scientifiques dont deux font partie de la liste des matières dites « indispensables à la survie » que le Conseil publie et met à jour tous les cinq ans. Et, à part les réunions obligatoires de quartier,  tous les habitants sont invités, fortement, à participer à des séminaires, des groupes de réflexions, des concours de projets. Ce système à permis à Fiadanana de devenir une ville à la pointe de la technique et de la technologie mais surtout, permet à ses quelques centaines de milliers d’habitants de survivre à tous les risques que représentent la vie souterraine. Car vivre sous terre n’est pas un choix mais un dernier recours pour cette génération.