Covid-19 : Madagascar et les plantes

Article : Covid-19 : Madagascar et les plantes
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23 avril 2020

Covid-19 : Madagascar et les plantes

La polémique gronde sur l’utilisation, fortement recommandée par le gouvernement malgache et fermement déconseillée par les scientifiques et l’OMS, de la tisane Covid-Organics pour protéger ou soigner les malgaches du coronavirus. J’ai envie de parler de mon expérience personnelle avec les tisanes si cela peut vous éclairer un peu sur le pourquoi ça risque de marcher dans la Grande Île.

Quelques étrangers avec qui j’ai déjà eu des échanges à propos des remèdes traditionnelles m’ont entendu, sûrement, dire ces phrases :

— « Un vrai Malgache connaît et utilise au moins une plante médicinale alors qu’une grande partie des Malgaches doit, assurément, en connaitre beaucoup. »

— « Un vrai malgache (histoire de le prévenir) connaît, au moins, une façon d’empoisonner quelqu’un. Alors, fais attention ! »

Pas besoin d’études approfondies pour comprendre pourquoi. J’ai vécu quarante ans dans ce pays et je peux vous raconter mon expérience.

D’abord, les plantes sont là.

Même ici, en plein Antananarivo, entre le goudron et le béton, des herbes, des fleurs, des arbres endémiques ou importés arrivent à croître. Dans notre cour, par exemple, on a décidé de ne plus arracher les plantes qui arrivent à y pousser. Et on a vu apparaître la célèbre pervenche malgache entre autres herbes ou arbres médicinales. Donc, avant hier, 21 avril 2020, un de nos voisins est venu quémander quelques feuilles d’un arbrisseau dans notre cour. J’ai juste demandé à quoi cela lui servirait et il a indiqué que ça soigne les eczémas. Ce qui me rappelle un autre voisin qui nous a pris, l’an dernier, du tanatanamanga afin de soigner la foulure de son fils.

En effet, le savoir se transmet ainsi, de bouche à oreille, de génération en génération. Je me souviens quand on habitait à la campagne, j’etais impressionné par la connaissance, par mes compagnons de jeux qui n’allaient pas à l’école, de toutes ces plantes et de leurs effets, bénéfiques, mortels ou autres. Et cela ne concerne pas que les plantes endémiques, mais tout ce qui est tendance dans le monde, eucalyptus, goji, noni, artémisia, est très vite adopté, partagé et utilisé.

Le fait est que ça marche, souvent.

Pendant cette période de mon enfance, donc, du côté Nord de Tana, j’avais profité de cette belle époque où l’on jouait dehors toute la journée à rien faire que courir, sauter, explorer bois et rivières. Et quand je m’écorchais je genoux, je devais prendre une feuille de « satriko aza maratra » (un nom masochiste qui signifie j’aime me blesser). Je machais la feuille et j’appliquais la mixture sur la blessure et cela arrêtait et le sang de couler et mon genou d’avoir mal.

Et on a, comme beaucoup de Malgaches, je pense, des expériences dans le passé avec des remèdes pour guérir des maladies ou pour améliorer la santé. Car si on est tous amateurs de plantes, on a aussi des professionnels dont certains vivent en fabriquant, en prescrivant ou en vendant des plantes médicinales et d’autres parviennent, à coups de succès retentissants, à s’enrichir très vite. J’en ai vu un sur une des routes nationales qui provoquait des embouteillages avec les patients qui attendaient leur tour. J’en connais un autre dont les malades arrivent à 4 heures du matin essayer d’avoir une place de consultation, atteints de maladies allant jusqu’au cancer.

Et comme le monde entier le connaît maintenant, on a des laboratoires et des instituts comme l’IMRA qui a déjà fourni quelques molécules à la pharmacopée mondiale. Autre exemple, Homeopharma, je pense, fait autant ou même moins de chiffres d’affaires sur les produits homéopathiques (l’homéopathie est de plus en plus contestée dans le monde) que sur les huiles essentielles, les tisanes et sirops que les Malgaches s’arrachent, localement ou à l’étranger. Je le sais parce qu’à chacun des mes voyages en Europe j’ai toujours la famille ou les amis qui me demandent du Vahona, Mandavasarotra, Phyto-foie ou autre.

Quelques réflexions sur le COV-Organics

Si on en revient au COV-organics, il faut aussi comprendre les constatations personnelles suivantes. Il y a peut-être eu des études mais je vais simplement dire mes idées selon mes réflexions personnelles, à prendre au sérieux ou non :

1. Il ne faut pas dire ou penser que les Malgaches sont trop pauvres pour accéder à la médecine occidentale. C’est un choix. Et il faut aller dans les réunions de familles « riches » pour les entendre discuter de tels remèdes ou telles tisanes comme on discuterait vins ou people. On a eu des urgences médicales pendant nos vacances, à des centaines de kilomètres de notre médecin traitant, qui ont été prises en charge. Et dans les Centres de Santé de Base, on peut avoir une consultation, des soins et des médicaments avec 2000 Ariary (50 centimes d’euro).

2. Les Malgaches font autant et parfois même plus confiance aux plantes qu’aux comprimés. Ils le diront souvent : il vaut mieux éviter les comprimés !

3. La médecine occidentale et celle traditionnelle sont parfois complémentaires. Par exemple, j’avais entre 15 et 25 ans des problèmes récurrents de douleurs a l’estomac et je prenais (trop souvent) des médicaments pour me soulager, mais je souffrais vraiment pendant mes crises. Et c’est le médecin de famille de ma femme (que j’ai épousée justement à mes 25 ans) qui nous a donné le remède naturel (une cuillerée de sirop d’aubergine à jeun pendant quelques jours) et je n’ai plus jamais fait de crise. Parfois, des gens utilisent des plantes et la maladie s’aggrave quand même. Et à la fin, parfois trop tard, ils viennent consulter un spécialiste à l’hôpital… D’autres fois, c’est le spécialiste qui s’avoue vaincu et le malade se tourne vers les guérisseurs.

Mais il est établi que certaines maladies sont mieux traitées à l’hôpital (opérations chirurgicales, cancers, etc) et d’autres sont les spécialités des guérisseurs (brûlures, transes, etc.).

Ainsi, je pense que, comme le COV-Organics a été presenté sous forme de tisane, les Malgaches, sans considérer les informations contradictoires, recommandations, mises en gardes des uns et des autres, risquent d’accepter en masse ce remède.

Description de cette image, également commentée ci-après

Le ravintsara nous vient également de Madagascar. Image : Wikimédia Commons.

Est-ce que moi j’en prendrai ? Je ne peux pas répondre. Je ne connais pas la composition du truc. D’un autre côté, je suis un Malgache et, avant l’IMRA, on avait déjà créé notre recette d’eucalyptus, raventsara, pervenche et ingrédients secrets en inhalation contre le coronavirus. J’ai chez moi des feuilles et des fioles d’huiles essentielles. J’ai un inhalateur d’huiles essentielles dans mon sac pour ma sinusite. Et j’ai une tradipraticienne qui nous donne parfois des compositions dont elle ne révèle jamais les ingrédients. Je ne serais pas objectif dans mon choix.

Il y a peut-être d’autres enjeux. Il y a peut-être de la politique, de l’argent, de l’influence, de la souveraineté en question. Je ne sais pas et je ne comprends pas à mon niveau. Mais dans tous les cas, s’il fallait faire prendre un médicament à la majorité des Malgaches, l’idée d’une tisane était la bonne.

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