Andriamialy

À Madagascar, à la guerre comme à la guerre

Madagascar serait le seul pays qui s’appauvrit sans avoir connu la guerre.

C’est vrai que, depuis l’indépendance, le pays n’a pas eu à défendre son territoire d’un envahissement et il a aussi évité les guerres civiles. Pourtant, dans une certaine mesure, des malgaches peuvent témoigner de scènes dignes d’un pays en conflit.

Manger

Pour moi, ça a commencé très tôt. Dans l’insouciance de mon enfance, je n’ai pas compris combien on était pauvres dans ce pays. J’avais la chance de pouvoir aller à l’étranger. Et quand on y allait, on rapportait surtout des denrées alimentaires. C’est là que ça a commencé et c’est pour ça que même maintenant, quand quelqu’un revient de l’étranger dans la famille, il doit rapporter du chocolat, du fromage, de la pâte à tartiner ou des mouchoirs à jeter. C’est parce qu’il y a eu un temps où on n’avait pas ça ici.

Un jour, à la cantine de l’école, on avait du vary amin’anana à midi, une soupe de riz aux brèdes sans autre accompagnement. J’étais en primaire dans une école privée et malgré mon jeune âge, j’ai pensé que je ne mangeais pas pour ce que mes parents payaient. Pourtant c’était normal, car il y avait la pénurie. Mais ça n’a pas été la seule fois. Encore aujourd’hui, il arrive que le riz, la base de notre alimentation, vienne à manquer. Quand celui-ci devient trop cher, comme cette année, il nous est arrivé d’essayer autre chose que le riz. Cela fait des plats bizarres pour moi, inhabituels : de la soupe salée de manioc, des frites de potirons, des épluchures de pomme de terres frites. J’ai vu des gens égayer leurs repas de scarabées rôtis, de sauterelles grillés.

Le choc, pour moi, a été quand j’ai passé une semaine à la campagne, à 50km de Tana. On était chez des gens qui ne sont pas de ma famille et qui d’un côté n’avaient pas la même éducation que nous et de l’autre ne comprenaient pas qu’on était des petits citadins et pas habitués à la dure vie en campagne. Pour eux, c’était à nous de nous y faire.

L’important, c’est le riz. Même sans accompagnement

Le matin, on se levait, il n’y avait pas de petit déjeuner. Rien. A 6 heures du matin, tout le monde était déjà dans les champs, sauf ceux et celles qui étaient en train de préparer le déjeuner. Ce déjeuner, on le prenait à 10h du matin. Il y avait du riz, beaucoup de riz et il ne fallait pas se retenir d’en manger car c’était le seul repas de la journée. Mais comme accompagnement, il n’y avait qu’un peu de pommes de terres cuites à l’eau salée ou d’autres légumes cuisinés pareil. Heureusement, il y avait un goûter à 16h fait de haninkotrana (manioc, patate douce, etc.). Là, c’était servi nature, sans sel ni sucre. Quand je pense qu’à l’heure où j’écris, des millions de malgaches vivent leurs journées de cette manière.

Mais le pire, c’est quand j’ai visité la prison à Antananarivo. On a été là-bas avec la chorale pour animer un culte le samedi. On les a vu préparer leur repas, le partager et le manger. C’était un bol de manioc pour toute la journée. J’en ai eu des cauchemars.

J’ai, aujourd’hui, la chance de manger à ma faim. Et quand ce qu’il y a dans la marmite ne me plaît pas, je dois juste me dire que c’est à la guerre comme à la guerre.

Se protéger

Quand j’étais enfant, on m’a aussi initié au « misisika bus », faire la mêlée pour entrer dans le bus. On habitait dans la banlieue nord et il y avait de grand bus comme on en voit encore en Afrique; un peu comme le bus rapide de Dakar. Certains étaient des camions carrossés. Mais, même si les tananariviens arborent toujours ce sourire ineffaçable, qui s’apparente plutôt à un rire nerveux, l’opération n’est pas sans risque. Il faut, d’abord, savoir détecter l’arrivée du bus, démarrer sa course à temps, éviter de tomber sous ses roues ou de se faire tamponner (ce qui est déjà arrivé à au moins 5 personnes de mon entourage). Ensuite, il faut faire la mêlée. Certains jouent des coudes, d’autres des fesses. Mais il faut avancer vers la porte. Enfin, il faut éviter de se faire vider les poches, ce qui arrive à au moins un habitant de Tana chaque jour.

Une émeute? non, juste « misisika » bus

J’évite ça à mes enfants. Moi, j’ai appris à vivre comme ça. C’est comme un jeu, un peu dangereux.

Émeutes, pillages? non, juste une chasse aux vendeurs de rue

Quand on voit, soudain, des gens qui courent partout. Ma mère m’a appris qu’il devait y avoir un « rotaka ». C’est peut-être une manifestation, une alerte à la bombe, des émeutes, mais en tout cas, c’est un rotaka. Il faut se mettre à l’abri. Bien sûr, c’est « open bar » dans tous les commerces alentours mais je n’y ai jamais participé. C’est vrai que dans ces moments, c’est comme une fête macabre. Certains gagnent des téléviseurs LED, d’autres des cartons de smartphones, mais d’autres encore perdent leur gagne-pain, leur vertus ou leurs vies. Honneur aux gagnants, comme on dit : à la guerre comme à la guerre.

Survivre

Mais même au milieu d’une bataille, malgré le stress et la drogue, un soldat fatigué finit par s’endormir. Ici, on dort avec une alarme. Le moins cher reste un sifflet suspendu près du lit. On s’endort mais on sursaute au moindre bruit suspect.

La lumière et l’alarme sont activées

La première fois que j’ai entendu un sifflet la nuit, j’étais un enfant. Cela m’a glacé le sang, tellement, que mon cœur a frappé si fort dans ma poitrine. J’ai vu les hommes de la maison sortir puis c’était l’attente dans le noir et le silence avant qu’ils ne reviennent pour raconter.

La dernière fois que j’ai entendu un sifflet la nuit, je crois bien que personne n’est sorti pour voir. L’ennemi est devenu trop fort. Il ne reste plus qu’a attendre les gens qui vont raconter le matin. Heureusement, il arrive que des personnes du voisinage soient bien armés, bien protégés par des agences de sécurités ou qu’il y ait la police qui ouvre un bureau dans le quartier.

Mais il y a des endroits où les dahalo sont si sûrs d’eux qu’ils se permettent de prévenir les villageois  de leur attaque. Les dahalo, à l’origine, ce sont des voleurs de bétails. Mais aujourd’hui, on parle de centaines, voire des milliers d’hommes armés qui font des exactions. Je ne sais pas comment appeler ça.

Imaginez dormir dans un village qui vient de recevoir un message sur un papier qu’on a déposé sur le palier de la porte du Chef de Village. Dessus, il est écrit que l’on viendra attaquer dans la nuit. J’ai déjà été victime de cela, mais c’était un canular. Heureusement? En tout cas, si cela avait eu lieu, on n’aurait pas pu demander d’aide : on est coupés du monde. C’est la guerre.

Une autre fois, des dahalo ont attaqué notre convoi, dans lequel il y avait des dizaines d’enfants partant en vacances. Le pare-brise a volé en éclat sous le coup d’une pierre provenant d’on ne sait où mais on a continué à rouler. Avec ce qui se raconte dans les journaux, je n’ose imaginer ce qui  aurait pu  nous arriver.

Les taxi-brousses, souvent victimes d’attaques de coupeurs de route

Madagascar est un pays pacifique. Le peuple malgache est réputé pacifique. Quand j’ai raconté quelques folies de quelques habitants de l’île, beaucoup ont réagi pour me dire que non, les malgaches ne sont pas des sauvages qui font des sauvageries. Et je suis d’accord.

Mais Madagascar est en guerre. Notre principal ennemi est la pauvreté, et contre elle, on n’a pas beaucoup d’alliés. Je dirais même que ceux qui sont venus soit disant pour nous aider, et qui sont repartis nous laissant plus pauvres qu’avant doivent être des commandos de l’ennemi. Et sur place, dans toutes les couches de la société, il doit y avoir beaucoup de collabos. Et la résistance peine.

Je dirais que le vrai paradoxe c’est que ce pays est en guerre depuis 60 ans mais que personne ne s’en rend compte.


N.I. – Partie 1 : Un matin comme les autres

Le matin, je suis toujours KO. J’ai mal à la tête, j’ai la bouche pâteuse et amère et je suis fatigué; encore plus fatigué qu’avant d’aller dormir.

J’ai même du mal à ouvrir les yeux. Je n’ai pas envie de les ouvrir. J’ai encore envie de dormir, de rêver. Je pense que j’étais dans un beau songe. J’y suis peut-être encore. Il y a encore des images dans ma tête qui s’estompent peu à peu.

Il y a une musique. C’est une mélodie ou un refrain et ça tourne en boucle dans ma tête. Bizarrement, plus j’entends la musique, plus j’ai envie de la chanter dans ma tête. Peu à peu, la mélodie prend de la place. Elle efface tout. Et je suis réveillé presque sans souvenir de la longue nuit, juste une musique.

Mais le domaine du rêve me passionne. J’essaie vite de me remémorer un détail important de ce que j’ai rêvé cette nuit. Par exemple, cette nuit, j’arrive à me souvenir que j’ai vu un cheval. Je demande à mon 2A (Assistant Artificiel) de me dire ce que cela signifie. Je lui dit : « -Nestor! (parce que je l’appelle Nestor et je préfère un 2A masculin comme dans les films de superhéros), dis-moi ce que ça signifie de rêver d’un cheval ». Là, Nestor me dit que selon Freud, je rechercherait la femme idéale. Puis il me donne des interprétations selon l’islam, le bouddhisme, et le reste sans oublier son propre interprétation par rapport à mon passé et mes projets actuels.

Bien entendu, tout ça pour moi était normal…avant notre rencontre…et avant que vous ne me demandiez tout ça! Et je ne comprend toujours pas, d’ailleurs, pourquoi vous voulez savoir tout ça. Mais comme c’est la première fois que je rencontre quelqu’un qui me comprend vraiment et qui s’intéresse à ces choses-là, ce n’est pas de refus.

Mais depuis notre premier entrevue, j’ai fait une petite introspection et tout est exactement comme vous l’avez dit. J’espère que vous arriverez à m’expliquer car sinon, je pense que je vais me faire évaporer.

Donc, comme vous l’avez deviné, j’étais très jeune. J’avais 6 ans quand j’ai fait ce rêve. J’étais dans une maison avec la famille quand j’ai entendu dans la cuisine qu’il y avait des gens bizarres. Ils étaient chauves, avaient de grand yeux fixes et ils ne parlaient pas mais j’ai compris qu’ils pouvaient…qu’ils voulaient me prendre avec eux et me transformer en quelque chose comme eux. J’avais très peur et je criais sans que personne ne m’entende. Puis, la même nuit, j’ai rêvé que des cow-boys nous ont attaqué et que j’ai pu me défendre avec mon pistolet. Le matin je me suis réveillé avec une forte fièvre. Mais oui, ce n’est pas normal qu’à 45 ans, je puisse me souvenir de ces images comme si c’était hier.

Et comme vous me l’avez fait remarqué, c’est depuis ce temps-là que je me sens spécial. A 9 ans, par exemple, j’étais en voyage et le bus émettait un petit bip régulier presque imperceptible. Et moi, je me disais dans ma tête que le bip devait être inaudible à tout le monde mais seulement à moi-même. Je jouais dans ma tête en disant qu’il y a des gens quelque part qui sont en train de m’observer et à m’envoyer des messages en code.

J’avoue que je n’avais pas fait de rapprochement avant que vous ne me l’aviez mis dans la tête mais c’est vrai. J’étais né à Madagascar quand il n’y avait qu’une seule chaîne télé et nous, on n’avait pas de poste. Et comme on habitait la campagne, je ne vois pas comment j’ai pu me fabriquer, tout seul, une image des « étrangers » si fidèle. Le petit jeu des cow-boys et des indiens qui a suivi, et qui peut s’expliquer par les séance de cinéma au Ritz ou au Roxy, a peut-être rendu cette nuit amusante mais ça n’a jamais effacé la peur du premier cauchemar.

En général, je dirais que c’était mon premier cauchemar et j’allais en avoir beaucoup, beaucoup trop. Mais, ensuite, j’ai pu avoir des rêves lucides.

 


Taxi d’Antananarivo, les vieux tacos restent une solution

Depuis plusieurs mois, la Commune Urbaine d’Antananarivo fait un bras de fer avec certains taxis qui refusent la privatisation du contrôle technique. Exprimé ainsi, on a du mal à comprendre les raisons de ce problème.

La plupart des taxis d’Antananarivo sont des voitures des années 50 à 90. On peut y voir du charme comme de la misère. En effet, parvenir à faire rouler des 2CV, des 4L ou des 204 montre, d’une part, la capacité des malgaches à s’occuper des voitures, leur débrouillardise vu que les pièces neuves n’existent plus pour la plupart de ces engins et d’autre part, ces voitures montrent que l’économie malgache peine à se moderniser.

Mais le problème est plus profond. Ma collègue Tiasy parle de gabegie. En effet, s’il y a des lois, beaucoup de taxis les enfreignent. Voici une liste non-exhaustive de ce que, moi, j’ai déjà vu faire par un taxi d’Antananarivo :

  • Pas de papiers en règles

– Taxi monsieur ?
– Oui, on voudrait aller en centre ville.
– Non, je ne peux pas… J’ai une autre course à faire
(Un autre taximan nous interpelle) Vous allez en ville ? Venez avec moi.
– Je ne comprend pas. Ce taxi était là avec le chauffeur en train de poireauter. C’est lui-même qui nous appelle et ensuite il dit qu’il ne peux pas nous emmener.
– Monsieur, tous ces taxis garés en haut sont sans papiers. Ils font juste les courses vers la colline et dans les routes secondaires tout autour ; là où il n’y a pas de policier.

  • Pas d’essence

Certains taxis n’ont que quelques « gouttes » d’essence dans leurs réservoirs et tablent sur un client éventuel pour en acheter.

– Monsieur, votre argent est en petites coupures ou en grosses ? C’est parce que j’ai besoin de faire de l’essence. (S’il y a de l’argent à rendre, il vaut mieux faire de la monnaie à la station)
-Tenez !
– Merci.
(À 100 mètres de la station, la voiture cale, plus d’essence.)
– Attendez un instant Monsieur. (Il sort avec quelques autres gouttes d’essences dans une petite bouteille, dans une poire, dans une seringue de 50CC, ouvre le capot et injecte dans le carburateur, rentre et démarre un coup pour atteindre la station)

  • Même pas de réservoir, ce qu’ils appellent « direct »

Là, il se gare près de la station, trifouille sous ses pieds, enlève un tuyau d’une bouteille en plastique, sort et court vers le pompiste pour remplir la bouteille. Il revient, remet le tuyau dans la bouteille, remet la bouteille sous sa jambe, et redémarre.

  • Le chauffeur est ivre

C’était une nuit, vers 22h30. On rentrait d’un concert sur la haute ville. On descendait dans le noir les quartiers calmes d’Andohalo en pensant rejoindre la station des taxis en bas. Un taxi dévale la pente et klaxonne. On entre soulagés, mais les ennuis commencent.

Comme souvent la nuit, le chauffeur a un compagnon qui lui tient compagnie. Le compagnon est en train de le sermonner :

– Je te dis de rouler doucement. Déjà, on devrait rentrer car tu es ivre.
– Non, je ne suis pas ivre !
– Si, même ta langue coince quand tu parles.
– Tu crois que je serais capable d’aller si vite si j’étais ivre ?

  • Et le taxi n’a pas de freins

– Non, tu es ivre et c’est pour ça que tu conduis vite, tu le sais. Après cette course, on rentre !
– Je te dis que non ! Et si tu continues à parler, je te fais descendre ici !
– Oui, tu peux me faire descendre et tu sais bien que cette voiture n’a pas de freins. Tu seras seul responsable.

Grâce à Dieu, on a survécu à cette course de la mort.

Et pour ne pas faire un article de trois pages, citons rapidement ce qu’on lit quelquefois dans les journaux avec les chauffeurs qui braquent les clients, ceux qui agressent des clients, et tout le reste.

La visite technique privatisée

Tout d’abord, on dit que Madagascar est un des pays les plus corrompus au monde. En effet, c’est la seule explication pour les choses qui sont citées plus haut. Normalement, une voiture sans frein, sans réservoir conventionnel ne peut pas circuler. La plupart du temps, la visite se fait à distance et ce n’est pas une prouesse technologique.

Plusieurs solutions ont été proposées. Et même si l’histoire de l’OMAVET n’est pas très claire, puisque d’un côté on parle d’une entreprise publique et de l’autre d’un business, elle en fait partie. Et quand on l’a proposé, beaucoup d’usagers se sont félicité sur les réseaux sociaux en pointant du doigt le non professionnalisme de certains taxi actuels et en espérant que des contrôles plus stricts vont améliorer la qualité de travail des taxis.

On ne fait pas d’un âne un cheval de course

J’ai déjà parlé des taxibe, les taxis collectifs qui ont pris la place des bus à Tana. Ce sont des minibus ou des minicars aménagés dont le ticket du trajet en ville est à 400 ariary (10 centimes d’euro) maximum. En effet, certains bus acceptent encore le tapa-dalana (parties de trajets) qui peut coûter 300 ou 200 ariary (5 centimes d’euro). A ce niveau, il ne faut pas s’étonner de la qualité de service, souvent médiocre.

Et pour les taxis, c’est pareil. On peut encore avoir une course à 5 000 ariary (1,50 euro) alors que, par exemple, la prise en charge uniquement coûte déjà 2,60 euros à Paris et le minimum est de 7 euros, 1/6 du SMIC malgache. Et la qualité de service est proportionnelle car à 7 euros, à Paris, on a de belles voitures neuves et à 1,50 euros, à Tana, c’est une vieille 2CV. C’est logique.

Il y a deux sortes de taxis. Il y a les taxis de propriétaires et les taxis de chauffeurs. Les propriétaires font ce qu’ils veulent. Certains travaillent dur mais d’autres moins. Ils veulent gagner de l’argent, ils sortent de la maison, sinon, ils restent dormir. Parfois, ils sortent et stationnent en attendant les clients intéressants et en jouant aux cartes ou à palabrer avec les collègues. Certains font cette activité en ayant déjà d’autres ressources. Le chauffeur, lui, doit faire un versement journalier au propriétaire. Il prend la voiture le matin et le soir il doit la rendre avec une certaine somme fixée d’avance (autour de 20 euros). Le reste sera son salaire. Je dirais qu’il y a des cas, que ce soit pour le chauffeur ou pour le propriétaire, où avoir un versement suffisant est une gageure. À 1,50 euro la course, pas question de faire le plein d’essence par exemple. Tous ces chauffeurs savent faire les réparations eux-mêmes quand ce sont des pannes récurrentes. Et pas question d’acheter des pièces neuves quand les occasions pullulent et qu’on peut même faire des adaptations. Donc certains trichent en utilisant ces réservoirs non conformes ou en travaillant avec des voitures en panne (sans démarreur, sans embrayage, sans frein, etc.)

Contrôle technique, oui mais…

Je suis preneur de toutes les initiatives visant à améliorer la vie des malgaches. Exiger le contrôle technique pour les voitures de transport est un minimum, mais trop souvent à Madagascar, la réalité fait que les plus pauvres doivent continuer à survivre à leur façon. C’est comme chasser les vendeurs de rues à Analakely. Si on veut juste les chasser alors qu’on ne prévoit rien pour remplacer leur gagne-pain, c’est peine perdue. Je ne sais pas si l’OMAVET parviendra à s’imposer. Mais si c’est le cas, c’est quasiment sur que certains trouveront toujours le moyen de tricher pour remplir le versement et avoir un petit salaire en plus.

De manière générale, je pense qu’il ne faut pas mettre « la charrue avant les bœufs ». Au lieu d’utiliser n’importe quelle contrainte pour inciter les gens à changer leurs habitudes, jugées mauvaises, il faut d’abord préparer l’alternative. Si une meilleure solution existe, les gens la prendront naturellement et là, on pourra dire que les récalcitrants sont de mauvaise foi. Mais, actuellement, quand on est pressé, on est toujours content de trouver un taxi qui nous emmène pour 1,50 euros.

 


Comment un selfie a sauvé la vie de mon fils

Ceci est une histoire vraie car elle est arrivée à mon fils et, donc, à notre petite famille. Ce jour-là, mon fils a failli mourir, mais il a été sauvé par un selfie.

Mon fils avait 5 ans au moment des faits. Mais à 5 ans, il ne communique pas encore. Il est ce que les francophones appellent un enfant dysphasique, ce que les anglophones désignent par « out of sync » (décalé, déconnecté, désynchronisé, déphasé, etc.). C’est le cas de tous mes enfants, alors ce n’est pas exceptionnel pour nous. Mais pour mieux comprendre, il faut savoir que ces enfants ont une intelligence comparable à celle des enfants de leur âge, peut-être même supérieure en certains points, mais ils ont du mal à communiquer verbalement. Souvent, on confond les enfants dysphasiques avec les enfants autistes et il est vrai que le manque de communication verbale peut amener un enfant dysphasique à développer des attitudes autistiques. Mais en général, il cherche à communiquer par d’autres moyens.

J’ai plusieurs enfants et le surnom que l’on a donné à celui-là est « Fugueur », car il a tendance à s’enfuir lorsqu’il sait qu’aucun grand ne le regarde. Fugueur a donc 5 ans et il est en vacances avec sa famille au bord de la mer à Mahajanga, à l’ouest de Madagascar. Le bord de mer de la ville de Mahajanga, à côté du port, est un lieu de rassemblement pour tous les majunguais, les vacanciers et les touristes, surtout en fin d’après-midi quand la chaleur commence à baisser.

Des petites voitures pour promener les enfants
Image : layandri

Vers 5 heures du soir, l’endroit commence à être parsemé de gens qui prennent place sur les bancs publics tandis que des saisonniers commencent à étaler leurs manèges ou leurs étals de nourriture. La famille de Fugueur s’installe sur un de ces bancs juste à côté d’un manège tenu par des saisonniers venant de la capitale Antananarivo. Les enfants demandent à faire des manèges et les adultes essayent de les faire patienter. Quand même, il y a des petites voitures qui font faire un tour aux enfants et Fugueur et ses frères en prennent une à tour de rôle.

Fugueur est émerveillé par ce qu’il voit : la mer, les manèges, les gens. Il ne pense qu’à s’amuser et découvrir. Comme les malgaches les appellent, il est de ceux qui « ne savent pas ce qui peut les tuer ».

La mère de Fugueur vient d’accompagner quelques-uns de ses frères faire un tour en voiture quand elle est revenue près du banc et a constaté que Fugueur a disparu. Elle demande aux autres adultes qui étaient là et eux croyaient que l’enfant était avec elle. Ils sont 5 « grands » à avoir été, une fois de plus, bernés par Fugueur et aucun n’a remarqué où il est parti. Stupéfiés, incrédules, ils ont mis quelques secondes à réagir et, comme dans le parabole de Jésus, ils ont tous laissé les enfants « sages » sur place pour partir à la recherche du fils prodigue.

Pendant 5 minutes, ils ont fait deux équipes pour longer le « bord » chacune dans une direction. Au retour, bredouilles, ils ont décidé d’étendre les recherches aux rues adjacentes. Le papa de Fugueur est rentré assez loin dans la ville pour ressortir au bout du « bord » et longer une fois de plus le trottoir qui borde la mer déjà plein de monde et de plus en plus sombre. De son point de vue, le bord est une falaise et justement, personne ne s’aventure sur les rochers noirs et coupants qui le constituent. Et surtout, selon la marée, l’eau qui est tout en bas de la falaise peut monter au niveau de la route. Mais il aperçoit des jeunes qui prennent des photos au dessus de la falaise et qui osent s’avancer de plus en plus près du bord.

Quand la marée monte, l’eau atteint le niveau de la route
Image : layandri

Le papa hâte ses pas et comme souvent, ses pensées vont plus vite que lui. Est-ce que c’est un enlèvement pour une rançon ? Si c’est le cas, il pourrait recevoir d’un instant à l’autre un appel sur son téléphone. Le téléphone a de la charge. Et s’il est parti en ville, quelles sont ses chances de survivre alors qu’il ne sait pas traverser les rues ? Pourrait-il passer une nuit entière dehors même si le climat est doux à Mahajanga ? Le papa décide de visiter toutes les maisons alentours.

La maman de Fugueur revient sur le banc, cela fait 15 minutes que l’enfant est recherché, toujours avec le même résultat, aucun des 5 adultes n’a vu le bébé. En faisant un petit calcul, elle s’aperçoit que ça fait déjà une demi-heure que le bébé est parti. S’il a couru dans une direction, il doit être déjà très très loin. Elle décide de calmer les autres enfants qui sont en train de pleurer et ils font une petite prière.

Rindra (le prénom est modifié pour l’histoire) est un travailleur d’une entreprise qui installe des manèges partout dans Madagascar. Aujourd’hui, il surveille son camion pour cinéma 5D avec ses collègues. Un homme bizarre, courtois mais un peu sans gêne, est tout à l’heure entré sans permission dans la salle de projection en demandant si on n’a pas vu un enfant rôder autour du camion. Derrière lui, les jeunes sont tout près du bord de la falaise pour leur séance photo. Ils ont décidé de faire un selfie plongeant au dessus de la falaise et en vérifiant une photo, ils ont trouvé une tâche de couleur derrière eux. Ils se sont retourné et ont crié « Misy tsaiky anaty rano » (Il y a un enfant dans l’eau). En tananarivéen qu’il est, Rindra n’entend pas « enfant » (« zaza » en dialecte des hauts-plateaux, « tsaiky » en dialecte de l’ouest) mais « sac ». Il a couru pour voir si le sac en valait la peine et il a tout de suite compris que « ce n’est pas un sac mais un bébé ». Sans hésiter, il a dévalé la pente avec précaution pour se retrouver en bas et tirer l’enfant de l’eau. Il a raconté plus tard : « l’enfant était sur le ventre, sous l’eau et il était coincé entre deux rochers par la taille. Je l’ai tiré et suspendu par la jambe en lui tapotant le dos et il a vomi de l’eau et s’est réveillé en souriant. »

La maman de Fugueur vient de finir sa prière quand elle entend une clameur au bord de la falaise. Elle, qui a une très grande foi, a tout de suite compris que c’était son fils et elle a couru en direction de l’attroupement. Là, elle voit Rindra qui tient l’enfant et qui remonte la falaise en criant d’un ton réprobateur : « qui est la maman de cet enfant ? » La maman, toute frêle, avec ses airs d’adolescente répond : « je suis la maman de cet enfant ! » Rindra la regarde et, considérant que ce n’est pas sérieux, réitère son appel : « où est la maman de cet enfant ? ». La maman n’y tient plus et arrache l’enfant de ses mains.

Rindra, avec le sentiment d’avoir sauvé une vie, s’est effacé discrètement, mais il passera la nuit à revivre ces scènes et à se demander comment tout cela était possible.

Le papa revient d’une longue recherche dans la ville quand il a vu de loin la troupe de badauds. D’abord un soulagement, car cela voudra dire que les recherches sont finies, mais tout de suite une plus grande crainte car après 30 minutes, c’est peut-être déjà trop tard. Et pire encore, si l’enfant n’était pas retrouvé, peut-être que ces gens sont là pour un autre drame encore. Et en s’approchant, son frère, un peu maladroit, n’est pas du tout rassurant en disant « on l’a trouvé, il était la tête sous l’eau. » Quelle joie de voir l’enfant sourire dans les bras de sa mère. Les gens disaient tous leurs trucs : « il va bien, il est sauvé ! », « amenez-le à l’hôpital. »

On l’a emmené à l’hôpital et ils l’ont laissé partir après avoir nettoyé ses égratignures. Il a eu des difficultés à respirer les deux jours suivants. On l’a surveillé et on lui a donné ses médicaments d’asthmatique. Au bout de trois jours, on a été enfin soulagé et en croisant Rindra près de son camion, on a eu une discussion tout à fait surréaliste à propos de l’événement.

Vue nocturne sur le phare de l’île de Katsepy depuis le Bord de Majunga Image : layandri

Pour Rindra, il était impossible que ce bébé ait pu berner les dizaines de personnes présentes et qu’aucune d’entre elles ne s’aperçoive de rien. Peut-être que quelqu’un l’a aidé à monter le muret qui limite le trottoir et puis à descendre la falaise. Et cette falaise ! Comment serait-il descendu seul sans se blesser ?

Le papa a voulu reconstituer le déroulement de la scène. Profitant d’un moment d’inattention pendant que les enfants s’échangeaient de place dans les petites voitures, Fugueur est parti droit vers la mer. Chaque adulte pensait qu’il était dans l’autre groupe. Pour grimper le muret, il a peut-être demandé l’aide d’un adulte ou d’un autre enfant qui passait là, à sa manière. Puis, pour descendre, on ne sait pas comment mais il était parvenu jusqu’en bas, où il avait pied. Il a joué quelques instants avec la mer comme il le fait à la plage. Puis en 30 minutes, l’eau a monté très vite et les vagues ont commencé à le frapper et à le plaquer contre les rochers. C’est là qu’il s’est fait des égratignures aux jambes. Impossible pour lui de remonter en grimpant aux blocs de pierre. Quand le courant a été assez fort pour le faire tomber et le ressac prêt à le tirer au large, il s’est retrouvé coincé entre deux rochers par sa taille. Il est resté comme ça quelques minutes avant d’être submergé. Mais après quelques secondes seulement sous l’eau, il a été sauvé par Rindra.

La maman de Fugueur rappelle qu’une fois de plus, Dieu a montré dans la vie de la petite famille qu’Il existe. Elle rappelle qu’il y a trop de coïncidences pour qu’on parle de hasard. Dieu s’est déjà manifesté comme cela, en laissant d’autres frères de Fugueur dans la tourmente et en les sauvant au dernier moment d’une manière miraculeuse. Par exemple, il y avait ce chirurgien qui a dit, à propos d’un grand frère qui était malade : « Vous avez bien fait de l’avoir transféré ici, si vous aviez attendu une ou deux heures de plus, cet enfant serait mort. » L’autre fois, un autre frère a failli se défenestrer par accident. Il s’en est fallu de quelques secondes. Et cette fois, on ne sait pas combien de minutes l’enfant était dans l’eau, mais ce qui est sûr c’est que quelques secondes de plus et c’était la fin.

Et si vous ne croyez pas en Dieu où à quelque chose de supérieur qui dirige les événements, comment nous expliquer qu’au moment où une prière ait pris fin, un inconnu décide de se mettre sur un rocher, faire un selfie plongeant pile 20 mètres au-dessus d’un enfant qui se noie ? A cause de l’angle, cet enfant était invisible à tout le monde, il fallait faire le geste du selfie pour révéler sa présence. Et il y a un kilomètre de bord de mer, mais il a choisi cet endroit pour sa photo. Le titre de cet article parle d’un selfie qui a sauvé la vie d’un enfant, mais à vrai dire, c’est plus qu’un selfie, c’est un miracle.


Le stylet de mon téléphone m’a réconcilié avec le dessin

Le dessin a toujours fait partie de mon monde, mais de moins en moins depuis quelques années. C’est en visionnant des vidéos sur internet que l’envie de dessiner sur un téléphone m’est venue, et avec, l’envie de redessiner.

D’abord, je dois avouer que je suis atteint d’artisme aigüe. En matière d’art, je n’ai presque rien étudié mais tout essayé : la musique, la peinture, la photographie, un peu de sculpture, un peu de théâtre, un peu de tout. Depuis quelques temps, grâce au blogging, j’écris des petites histoires sur le net et dans ma communauté, j’écris aussi des scénettes bibliques et des comédies musicales évangéliques et on en fait de petits films. Et j’ai aussi toujours aimé la calligraphie et le dessin.

léopard
Léopard en gouache sur carton que j’ai dessiné dans ma jeunesse (image: layandri)

J’ai pourtant commencé ma vie avec un handicap qui touche la partie droite de mon corps et dont la partie la plus visible est une syndactylie corrigée de la main droite, la correction ayant consisté à amputer un doigt. Le problème c’est que, justement, je suis droitier.

Ma définition du handicap étant « une différence qui oblige une personne à travailler plus que les personnes dites normales pour réaliser son projet », je n’ai jamais renoncé à aucun de mes talents. J’ai, par exemple, toujours joué au foot malgré l’avis du kinésithérapeute qui me disait : « si tu joues au foot, tu peux te casser un os au moindre contact et tu peux même te luxer la hanche ou te briser le dos. » J’ai joué au foot. Je n’ai pas intégré une équipe et ne suis pas devenu un joueur professionnel, même s’il y a eu des périodes où avec des amis, on jouait pour de l’argent et d’autres où on faisait des tournois.

Revenons à (dessiner) nos moutons

Je me souviens qu’en primaire, on faisait des cours de dessins. J’étais nul. Et pourtant je m’appliquais. On nous avait donné un modèle et on n’avait qu’à copier. Je l’ai fait et j’avais reçu un 2/10. Plus tard, en sixième, avec des amis, on faisait des bandes dessinées. L’un d’eux dessinait de superbes personnages en 5 secondes et moi, je faisais ce que je pouvais, mais c’était pas beau. Je l’enviais un peu, mais surtout, c’était comme un professeur, car j’essayais de refaire tout ce qu’il faisait.

Je sentais que j’avais ce talent mais que je ne pouvais pas m’exprimer. Est-ce que c’est génétique ou culturel ? Je ne sais pas, mais on me disait que mon grand-père était aussi un bon dessinateur et j’ai vu mon oncle décorer ses murs avec des peintures de personnages de B.D. Surtout, même si je dessinais mal, j’aimais ça !

Et finalement, j’ai eu ma période dessinatrice entre les classes de seconde et terminale. Tous mes cahiers, paix à leurs âmes, étaient pleins de gribouillis plus ou moins géniaux. Je me souviens d’avoir copié des pochettes des Beatles ou de Michael Jackson pendant les heures de cours. J’ai aussi inventé une écriture à base de gothique et de germanique que j’ornais d’arabesques et de frises en tous genres. Pour expliquer aux plus jeunes, en ce temps-là, il n’y avait pas de réseaux sociaux, mais l’équivalent s’appelait « cahiers de souvenirs »,  où l’on écrivait à la main notre profil, nos données personnelles, nos citations et nos MP. On me passait volontiers ce genre de cahier pour que j’y mette une œuvre originale.

Est-ce que j’ai voulu en faire mon métier ?

J’ai voulu en faire mon métier. Quand je faisais ces gouaches sur carton, j’avais deux amis dessinateurs de talent. Ils avaient fait une B.D. tirée de la Bible et j’étais en quelque sorte le metteur en scène, leur indiquant pourquoi un tel arbre n’est pas réaliste ou comment devrait être un personnage au moment d’une scène. Et on pensait vraiment aller loin dans le projet et pourquoi pas publier. Mais cela ne s’est pas fait.

Je me souviens aussi dans un salon de l’informatique à Antananarivo, vers les années 1990. Il y avait un européen qui faisait la démonstration d’un ancêtre des logiciels de traitement d’image où il effaçait la dent jaune d’un modèle en faisant un copier-coller. Cela m’a beaucoup impressionné et, avant même d’avoir mon premier ordinateur, j’ai beaucoup dessiné sur tous les PC que je trouvais. C’est par nostalgie de ce temps-là que j’ai redessiné sur Paint pour illustrer des épisodes de l’histoire en ligne de ce blog « Vacances au soleil« , par exemple.

« Les ampoules, par milliers, qui jonchent les tunnels créent plus d’ombres que de lumières… » (image: layandri)

Mon téléphone m’a définitivement réconcilié avec le dessin

Définitivement, je ne suis pas un dessinateur. Je suis un chef de projet dans une banque de renom et si j’arrive à publier quelques articles de blog par mois, et que je continue mes autres activités artistiques (le groupe, la composition, etc.), je ne pourrais sûrement pas avoir le temps pour dessiner de manière professionnelle. Mais l’envie est toujours là.

J’ai vu des vidéos sur le web montrant des dessinateurs à l’œuvre sur de petits écrans de téléphone et j’ai compris que c’est la solution idéale pour moi. Mon téléphone est toujours dans ma poche et je peux l’utiliser quand je veux. Pas besoin de papier, de crayons ni de gommes, mais le résultat est quand même un dessin. J’ai donc troqué mon smartphone pour un modèle avec stylet et j’ai téléchargé des applications qui permettent de faire des dessins.

Je vais vous laisser avec quelques exemples de dessins, mais ma conclusion est simple : le smartphone est un outil formidable pour travailler, mais surtout pour s’amuser. Au prochain article, je vais vous raconter comment un selfie a sauvé la vie de mon fils.

J’ai dessiné une rose comme celle-ci en 1994 dans un cahier de souvenir… (image: layandri)
Certaines applications permettent de faire des symétries qui donnent des images très satisfaisants (image: layandri)
Faire des paysages sur un écran de 5 pouces est assez ardu (image: layandri)

 

Calquer des photos pour en faire des portraits est par contre assez simple. (image: layandri)


À Madagascar, la peste fait des morts, et vice-versa

À Madagascar, la peste fait cette année 2017 plus de morts que d’habitude. Aujourd’hui, on parle d’épidémie et le nombre de morts dépasse les 70. Mais s’il y a des vérités, il y a aussi des non-dits et surtout des rumeurs.

La peste existe

La peste sévit à Madagascar depuis longtemps. Depuis les années 1980, il y a toujours des cas recensés tous les ans. Je l’ai dit dans mon précédent article que j’ai vécu longtemps dans un quartier exposé. J’en ai toujours entendu parler comme le choléra, le paludisme et la grippe, d’ailleurs. En 2014, j’ai déjà écrit un article sur la peste à Madagascar. Pour vous dire, j’ai entendu il y a des années cette anecdote anonyme. Je dirais que c’est une légende urbaine car je l’ai entendue de plusieurs personnes avec des versions différentes. Il s’agissait d’un guérisseur qui avait l’habitude d’aspirer avec la bouche le pus des plaies de ses patients pour les guérir. Cette fois-ci, il serait mort en quelques minutes (ou quelques heures) après avoir pratiqué une séance sur un malade car celui-ci avait la peste.

Et alors?

Parfois, quand on vit avec le danger, quand on est habitué, on ne sent plus sa présence. C’est vrai que l’on vit dans un pays qui abrite Yersinia Pestis, ou la bacille du choléra. On doit aussi avoir de multiples rétrovirus du VIH. Ces microscopes tueurs sont même devenus endémiques à Madagascar. Parce que tout ce qui reste un peu sur cette île devient endémique (lisez le cas du ravintsara). Mais on vit avec.

Les malgaches bénissent Zanahary, le Dieu créateur que cette île paisible ne connaisse pas de dangereux prédateurs comme le lion en Afrique, le tigre en Asie,  le loup dans les pays tempérés ou même un de ces petits serpents mortels, silencieux et sournois qui vous pique les mollets si vous vous aventurez dans les broussailles. Je suis sur qu’un habitant de Dakar, de Bangkok ou de Kamtchatka aujourd’hui dira qu’il préfère, de loin, faire face aux animaux sauvages, par habitude, que de venir à Madagascar risquer d’attraper la peste.

Même pas peur

Dans l’article précédent, les gens qui ont vraiment peur de la peste sont parfois moqués. Il y a, c’est vrai, des gens qui ont développé une phobie de la peste (pesto-phobie?), et qui font la totale :

– J’ai mis des pièges à rats partout dans la cour
– J’ai aussi traité toutes les chambres, les murs, la cours, l’intérieur des voitures avec l’insecticide
– Et je met un masque tout le temps si jamais je suis obligé de sortir
– Bonjour, pas de bises s’il te plaît…

Mais la plupart des gens continue à vivre comme tous les jours. La peur existe mais si on s’imagine que Tana devrait être une ville morte, assiégée, dans la réalité, on ne voit qu’un homme masqué tous les 500 mètres pour nous rappeler qu’il y a la peste.

Mal(heureusement), il y a des morts

Au début, même les premiers morts ne sont pas pris au sérieux. La communication du gouvernement a aidé cette phase d’incrédulité quand les mots et expressions qui se sont répétés étaient  : « saison pesteuse »,  « sous contrôle », « habituel », « maitrisé », etc. Les dirigeants et leurs politiques savent peut-être ce qu’ils font et ils sont et seront responsables de leurs décisions.

Mais les cas se sont multipliés. Quand le nombre de cas officiels dont les cas mortels était « tsy takona afenina » (impossible à cacher), il a fallu donner l’alerte, évidemment, en retard de quelques jours par rapport à ce qui est prévu par l’OMS dans ces cas. Décidément, à Madagascar, si la peste fait des morts, ce sont aussi les morts qui font la peste. Je rappelle, en passant, le principe des cafards : »un cafard visible peut facilement en cacher 200″ .

Heureusement, les mesures sont prises et appliquées. Par exemple, les écoles ont fermés pendant 2 semaines et certaines ne sont pas encore ouvertes dans plusieurs régions. Les véhicules de transport publics sont désinfectés. Des affiches sont collés et des campagnes de communications sont faites tambour battant. Les entreprises aussi, dans la peur de perdre leurs forces vives, appliquent des mesures strictes. Ce qui est vraiment bien, si on peut le dire, c’est que les parents craignent surtout pour leurs enfants et qu’ils s’ajoutent des mesures complémentaires pour les protéger particulièrement. Ce qu’on veut faire, c’est vraiment maitriser cette épidémie par tous les moyens.

NE PAS baisser la garde

C’est un avis personnel, mais comme souvent à Madagascar, les rumeurs  ont plus d’impact que la vérité. Dans le cas de la peste, l’histoire du supposé patient zéro, un voyageur entre Ankazobe et Toamasina a très vite fait le tour de la toile et des réseaux sociaux plusieurs jours avant que l’alerte officielle ait été donnée. Je dirais que quelquefois, surtout quand on ne peut pas avoir de données fiables, on doit écouter les rumeurs qui courent. Dans les cas de maladies transmissibles il vaut mieux trop avoir peur que pas du tout. L’inconvénient qu’il faut éviter c’est la panique. Il ne faut pas qu’à la moindre mauvaise nouvelle, non confirmée, tout le monde se met à vider les stations d’essences et les magasins de P.P.N.. Il faut juste se dire que les rumeurs, surtout à Madagascar cachent souvent une vérité qui peut être plus importante ou moins grave, mais qu’il ne faut pas ignorer.