Des décennies avant le rap et le slam, les malgaches ont brisé le sôva

Article : Des décennies avant le rap et le slam, les malgaches ont brisé le sôva
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21 décembre 2016

Des décennies avant le rap et le slam, les malgaches ont brisé le sôva

Le Sôva n’est peut-être pas l’ancêtre officiel du rap mais lisez plutôt la suite et on verra bien.

Madagascar possède une culture orale très riche. Les formes usuelles existent : contes et légendes (Angano sy arira, tantara valamaty, etc.), proverbes (ohabolana), devinettes (ankamantatra), blagues, etc. Mais il existent beaucoup d’autres spécifiques aux malgaches comme le Kabary (forme de discours), les formes de poésies ou des jeux de mots : rija, sôva, hainteny, etc. Les étudier une à une nécessiterait au moins 3 vies. Le Rija, par exemple, sont des cantilènes betsileo utilisant entre deux vers la parallélisation, le rapprochement et la répétition qui font qu’ils ont des points communs avec les proverbes de l’Ancien Testament.

Un anneau d’or au nez d’un pourceau, C’est une femme belle et dépourvue de sens. (Proverbe 11:22)

Tsy tsara ny aomby vavy lehe mitarika sarety (une vache est bonne devant une charette)
Fa tsara ny vehivavy rehafa miaraka amin’ny zipety (mais une fille est belle avec une jupette)
(Tsivahiny in Zipety)
Une forte tradition orale de la chanson malgache

Mais je dirais que j’aime toute la culture orale malgache et je trouve qu’un bon Malgache devrait au moins écouter de temps en temps un vieux qui raconte un conte ou un jeune qui, dans la rue, s’exerce à des jeux de mots. Car heureusement, même si certaines franges de la société malgache ont déjà abandonné la tradition orale, ne permettant plus à leurs enfants de connaître les contes, les proverbes et les devinettes, il y a encore ceux qui perpétuent cette tradition et le font vivre. Oui, faire vivre la tradition orale signifie aussi que de nouveaux textes, adaptés au monde moderne, incluant des langues étrangères, surgissent, parfois même vraiment ridicules. Un exemple?

Inona ary zany (devines) : ilay sola mitsiky?

Réponse : une chauve souris, parce que sola = chauve, mitsiky = sourire, donc le chauve sourit

Pour l’humour qu’ils contiennent, les  jeux de mots m’attirent plus que les poèmes ou les histoires. Pour moi, un kabary intéressant doit en contenir de très bons et très recherchés. Et que dire des rija et des sôva si ce n’est que ce sont des mots arrangés très intelligemment et très souvent pleins d’humour?

 

Avant, des joutes verbales opposaient les chanteurs

Aujourd’hui, ces formes de poésies subsistent surtout sous des formes musicaux dérivées. Mais dans les temps anciens, il y avait de vraies joutes verbaux dans lesquels les gens se défiaient et s’affrontaient vraiment. Dans certaines parties de Madagascar, ces tournois s’appellent « mampiady karajia » où Karajia signifie « jeux de mots »suivant le proverbe « Ne te mesures pas en karajia avec un vieux car un vieux est un vieux ». En exemple, voici un medley de chanson Betsileo contenant plein de rija.

 

Donc, le sôva est un genre littéraire descriptif du peuple Tsimihety sous forme de poème rythmé comme cette thèse de M. Eugène Régis Mangalaza le décrit. En théorie, le poète fait de l’improvisation sur un thème donné (un animal, un personnage, etc.) mais vu la complexité des textes et des rimes, il y a une maîtrise derrière qui fait penser à des années d’entrainement et de mûrissement sur chaque thème. Comme beaucoup de genres culturels, le sôva a été depuis longtemps disséminé et adopté dans toute l’île.

Rap et sôva : inspirations et différences

C’est avec la combinaison poème et rythme que le rapprochement avec le rap vient naturellement. Le rap est une forme d’expression vocale où les paroles sont débitées sur fond de musique répétitive. Bien sur, à y voir de plus près les différences sont nombreuses mais je me tiens aux points communs; surtout si on pense à un battle de sôva improvisé et à un battle de rap freestyle (improvisation).

Je me souviens d’une troupe de gars qui se retrouvaient souvent à chanter entre les cours dans un coin de notre campus. Je me souviens que parmi eux, il y avait de très bon freestyler qui improvisaient tout à coup des minutes de rimes sur la répétition des derniers accords de la chanson de Bob Marley ou des Mahaleo. Je me souviens combien j’étais abasourdi par leur talent, ne croyant pas possible que de tels mots et rimes pouvaient sortir à cette vitesse de leurs cerveaux.

Ah, j’aurais aimé assisté à une bataille de sôva, aussi. Et j’aurais aimé vous en présenter ici dans le blog mais en recherchant dans le net, je n’ai pas trouvé beaucoup de choses.

Comme je l’ai déjà dit, le sôva subsiste surtout en tant que style musical. On parle de vakisôva que les Mahaleo expliquent par « Vaky ny sôva ka lasa hira » (le sôva a été brisé pour devenir des chansons). Le refrain de cette chanson « Vakisaova » est un mini sôva sur la pleine lune. Les Lolo sy ny tariny aussi ont créé des chansons inspirés du sôva comme Fibata qui décrit les bus des années 1970 ou Metimety qui, ici,  est a capella.

Et le sôva, en tant que style musical a eu un essor dans les années 1980 en s’identifiant avec la classe populaire malgache. Par exemple, on peut voir dans le clip du groupe « Ny hazo Midoroboka » tous les symboles de la révolution socialiste des années 70-80. Aujourd’hui, des groupes faisant le style sôva font surtout des prestations dans des veillées funèbres où ils pastichent des chansons célèbres en ajoutant d’autres rimes dans le style sôva.

 

 

Cela n’a pas empêché d’autres groupes de variétés de faire quelquefois des titres avec ce genre musical. Et là, il faut citer les Ny Nanahary qui ont, justement été les premiers à faire le lien sôva/rap. Je citerai les 2 titres. Bemangovitra (Paludisme) d’abord qui est une description de cette maladie. Noter la partie conversation a capella avec le petit garçon en pensant que lorsque cette chanson a été diffusée, la majorité des malgaches n’a jamais entendu de rap de leur vie.

Il y a eu aussi le diptyque « Odoie » et « Horera » (horreur) qui décrivent deux mots nouveaux utilisés par les jeunes. Puis est venu « Tosi-drà » (tension artérielle) qui décrit la dégradation de l’environnement (dont, déjà de réchauffement climatique) qui impacte la santé des malgaches. Mais cette chanson qui est un genre de sôva est accompagné par du … beat box… faisant de ce titre soit un rap soit une parodie de rap. Alors, à tous les  18,3, Diosezy ou Bogota, on pourrait bien dire le premier groupe de hip hop malgache étaient les Ny Nanahary, n’est-ce pas?

Mais les autres artistes malgaches ont déjà compris que sôva et rythmes nouveaux ne peuvent que se rapprocher et se compléter. Donc, parmi les essais de fusion, voici, déjà « Vaky ny sôva » de DJ Denis et Tax Bouta avec les Rakoto Frah junior

Moi, j’ai envie de finir cet article avec le morceau qui se rapprocherait peut-être le plus de l’ambiance d’un battle de sôva d’antan. On n’entend que le rythme du lamako frappé avec les mains et les rimes des poètes s’enchainent à tour de rôle. Voici « Aza misy miteniteny » (que personne ne parle). Répétez ce refrain avec les chanteurs!

Et voici la version réactualisée et plus tranchante de l’humoriste Gothlieb

https://www.youtube.com/watch?v=QQ2aZ2vr3MQ

 

 

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