21 décembre 2015

Voici Dakar

Dakar, le quartier d’Antananarivo où j’ai grandi n’a finalement pas grand chose à voir avec le vrai au Sénégal.

A partir de mes huit ans, j’ai habité juste en face de ce quartier que l’on surnomme Dakar. Les malgaches aiment bien donner des surnoms, aux gens, aux lieux ou aux choses. C’est pour cela que des villes ou des quartiers prennent des noms étrangers. Parfois, il y a une certaine logique, Toliary, par rapprochement de la prononciation devient Toulouse, par exemple. Behoririka est appelé Chinatown parce que c’est deveu le quartier des chinois. Mais en parlant de Dakar, Manjakaray, l’explication n’est pas toute trouvée.

Je me souviens, quand je quittais ma maison pour aller à Manjakaray, je devais suivre une route goudronnée. Alors, je passe par une cimetière des karàna (communauté de malgaches d’origine asiatique, venant de territoires aujourd’hui faisant partie de l’Inde et du Pakistan). Puis, j’arrive à mon église, l’Eglise Adventiste du 7ème jour Manjakaray, qui répète fièrement qu’elle a été la première église adventiste à Madagascar.

L'intérieur de l'église Adventiste Manjakaray
L’intérieur de l’église Adventiste Manjakaray

Mais quand ce n’est pas le sabbat, alors, je passe devant pour aller dans le petit marché quelques mètre plus loin. Là, j’aperçois l’église protestante FJKM Rasalama de Manjakaray. Rasalama, c’est le nom de la première martyr chrétienne de Madagascar. Elle s’était caché dans une grotte à Manjakaray, quelle idée! On a du mal a imaginer qu’en ce temps là, Manjakaray était à la campagne. Si on rajoute que l’église catholique de Manjakaray est celle qui est mondialement célèbre pour ses cloches, on a un quartier qui est une concentration de l’histoire de la chrétienté à Antananarivo. Cela ne peut être l’explication de la provenance du surnom Dakar.

Eglise Manjakaray
Clocher de l’église catholique de Manjakaray

A mon avis, Dakar était un surnom péjoratif pour dire que c’était l’Afrique. Historiquement, ce serait un fief des mainty (noir de peau) libres. J’explique l’expression « noir libre ».  Dans la tête de certains malgaches, racistes, donc têtes dérangées que la colonisation et les politiques d’après n’ont pas arrangés, il y a deux types de malgaches : les ambaniandro, à la peau clair et les andevo (esclaves) à la peau foncée. Pourtant, cela n’a jamais été comme ça. La société malgache était en tout temps très complexe et les classes étaient toujours poreuses. Tu pouvais naître esclave et mourir seigneur et l’inverse mais en aucun cas, la couleur de peau pouvait garantir une place privilégiée. Donc, Manjakaray serait Dakar parce que c’est un quartier à majorité de noirs. Mais ce n’est pas tout.

Maisons de Manjakaray
Maisons de Manjakaray

Manjakaray était un quartier pauvre, très pauvre. Une autre image que les rares émissions à la télé montrant l’Afrique en ce temps-là véhiculait. Il y avait, il y a encore des bidonvilles cachées derrières les maisons en premier plan, comme un peu partout à Antananarivo, malheureusement. Avec la misère, il y a l’insécurité. Manjakaray est un de ces endroits qu’on a toujours appelé « zone rouge ». Je me souviens qu’il y avait un temps où l’on se réveillait, habituellement, avec les « au secours! » et « à l’aide! » de passants et de passantes dépouillés, violentés, agressés. Ceci est presque vrai : les malfrats évitent de s’en prendre aux habitants du quartier. C’est logique, sinon, ils seraient presque obligés de « faire taire » ces témoins gênants et cela compliquerait leur tâche. On s’est fait cambrioler, une fois. Donc, on n’a pas pu voir les malfaiteurs. Pour le reste, on n’a pas eu de problème. Les visiteurs, par contre, les gens qui viennent de la campagne, à pied ou qui débarquent des taxi-brousse, étaient souvent attaqués.

Ce serait, donc, un surnom caricatural pour dire que Manjakaray serait comme le Dakar du début des années 1990 avec le conflit d’avec Nouakchott et comme l’Afrique, en général, comme le pensait la plupart des malgaches : la pauvreté, l’insalubrité et l’insécurité. En ce temps-là, comme il n’y avait que la radio pour la majorité des malgaches, juste le fait d’entendre à la radio qu’il y avait des échauffourées à Dakar aurait pu faire croire que c’était comparable à ce qui se passait à Manjakaray.

Panneau montrant Manjakaray en tant que frontière au Nord de la ville
Panneau montrant Manjakaray en tant que frontière au Nord de la ville

Aujourd’hui, j’ai quitté ce quartier qui n’est plus une banlieue pour m’éloigner encore du centre-ville. Quand je reviens à Manjakaray, c’est devenu différent. Au bord des rues, il y a de grandes maisons, modernes et belles. Il y a toujours ces petites ruelles, ces vielles maisons centenaires et ces autres en tôles et en sacs plastiques. Il y a des gens, beaucoup de gens, du matin au soir, et jusqu’à tard le soir. C’est bizarre comme la richesse et la pauvreté, la propreté et la saleté, la beauté et la laideur se sont encore plus mélangés : les grands buildings qui cachent en deuxième plan les taudis, les ruelles mal famées d’où sortent de rutilantes 4×4, les commerçants, les bacs à ordures pleines, les jolies filles, les soulards, les bandits, les jeunes désœuvrés, les écoliers, et le reste.

Et puis, comme par magie, je me retrouve à Dakar, le vrai. C’était un voyage sur Air Mondoblog et c’est comme un rêve. A vrai dire, il fallait que je ramène le sujet de ce texte à mon pays. Je m’en excuses. Mais, d’autres part, une semaine à Dakar, c’est trop insuffisant pour avoir une opinion un tant soit peu objective de cette immense ville quand une dizaine d’année à Dakar, le quartier de Manjakaray m’en fait un spécialiste.

Tout ce que j’ai vu au Sénégal m’a impressionné et cela restera dans ma tête comme toutes les villes du monde que j’ai déjà visité.

Et je proclame solennellement que Manjakaray n’a rien à voir avec le vrai Dakar. Ou presque!

Et pour le confirmer, je vous montre cet album de photos de Dakar, du beau Dakar. Bon voyage!

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