Madagascar – Masina ny tanindrazana (la matrie est sacrée)

Article : Madagascar – Masina ny tanindrazana (la matrie est sacrée)
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27 novembre 2015

Madagascar – Masina ny tanindrazana (la matrie est sacrée)

Une petite analyse de l’expression « Masina ny tanindrazana », cet adage partagé ici et là sur les réseaux sociaux à Madagascar ces derniers temps.

Masina, le sacré et le saint

Les débats pour différencier le sacré et le saint sont nombreux. En malgache, ils ne devraient pas avoir lieu puisqu’on utilise le même mot « masina ». Pourtant il y a la racine « hasina » (sainteté, sacré) qui est proche de jina (hasina d’un objet), jiny (colère, esprit malin) et tsiny (faute, censure, blâme).

Ainsi, on peut dire qu’il y a deux « masina » distincts. Celui qui correspond au sacré, c’est-à-dire, tout ce qui touche à Dieu ou aux dieux. Le divin est lui-même sacré et tout ce qui le concerne aussi. Dans le judaïsme, Jéhovah a dit à Moïse de lui construire un temple pour qu’il demeure au milieu d’eux, conférant à ce temple le statut d’endroit le plus sacré de la Terre. Les musulmans disent que le lieu préféré d’Allah sur Terre est la mosquée. Les chrétiens savent que leurs églises sont sacrées puisque Jésus a dit que là où 2 ou 3 personnes se réunissent en son Nom, il sera au milieu d’eux. Ce sont des exemples. Mais à Madagascar, on croit autant à Dieu, aux dieux qu’aux ancêtres. De Dieu, les Malgaches reconnaissent l’omniprésence en disant « Ne regarde pas la vallée silencieuse mais Dieu au-dessus de ta tête ». Mais certains endroits sont reconnus comme sacrés à cause des « vazimbas ». Ces êtres mystiques, morts ou vivants, ou les deux, dans l’esprit des malgaches suscitent crainte, fascination et intérêt. On dit des endroits où il y a des « vazimbas » qu’ils sont « masina » ou « manan-jina » (qui a du jina). Je dirais que les vazimbas correspondent aux ancêtres, nobles, puissants, déifiés de la mythologie malgache.

De l’autre côté, ce qui correspond le plus à la sainteté, c’est le « masina » dans sa définition de « consacré ». Les endroits où les dieux ou les ancêtres se sont manifestés sont sacrés, mais l’Homme a le pouvoir de désigner un lieu, une chose, un animal, un bout de bois ou une pierre comme saint après quelques petites ou grandes cérémonies (manasina). C’est fascinant comme parfois ce geste peut être anodin, comme jeter une pièce, verser un peu d’alcool ou du miel et pourtant il change complètement le statut d’une chose. Notez la différence entre le pavé d’une rue et une pierre tombale, par exemple; ou entre ma chaise de cuisine et la chaise, de même facture mais qui est derrière le pupitre (autel) de l’église. De la même façon, les lieux, les choses, les personnes « masina » sont différents du reste du monde.

Conséquences

Justement, que confère ce statut de saint, de sacré aux hommes, aux lieux, aux choses ?

D’abord, il y a les pouvoirs spéciaux. Un « masina », si c’est un être humain, vivant, ou si c’est un objet inanimé est craint par la société. Un héritage des temps passés, par exemple, procure à une partie de la population malgache, les andriana, des pouvoirs de « masina »  pouvant bénir ou apporter le malheur. Si la plupart des gens ne croit plus à cela, il y a des endroits où on est surpris par l’attitude des gens envers les supposés descendants d’andriana. Parfois aussi, on entend des ainés qui disent à leurs fils : « Ne maudis jamais personne car tu es masimbava (bouche sacrée) ». Et il y a ceux qui s’intronisent « masina » eux-même. Toutes les semaines, les « masina », modernes ont un article ou une publicité dans les journaux malgaches pour promouvoir leurs « pouvoirs » auprès de la clientèle. C’est pareil pour les choses inanimées, les rivières pour s’immerger, les rochers à embrasser ou à nourrir de miel, et les autres qu’il faut respecter d’une certaine manière.

En effet, le « masina » signifie aussi qu’il y a des obligations à respecter à son égard et surtout des interdits. Il faut flatter le « masina » pour qu’il exauce les prières. Il faut parfois suivre des règles, des privations. Les transgressions, les péchés (ota) ou plus précisément les « ota fady » (transgression d’un interdit) envers un masina est source de malheur.

Est-ce que le tanindrazana est masina?

Le mot tanindrazana (terre des ancêtres) n’a pas d’équivalent dans la langue française. Il y a la patrie, ou la mère patrie (matrie) que j’ai choisi dans le titre de l’article mais qui se réfère plutôt au mot malgache « firenena » avec la racine « reny » (mère). En fait, on peut comprendre « tanindrazana » comme terre des ancêtres, c’est-à-dire, la terre sur laquelle les ancêtres ont vécu et qui leur appartenait mais aussi comme « terre d’ancêtre » dans la mesure où ils sont morts et sont devenus cette poussière que l’on foule à nos pieds. Dire que la matrie est sacrée n’est donc pas anodin. Cela renvoie, encore une fois, aux croyances malgaches que les ancêtres sont saints, qu’ils peuvent bénir mais aussi maudire.

D’autre part, beaucoup de religions ou de mouvements à Madagascar cherchent les raisons pour lesquelles ce pays serait masina. On dit, par exemple, que l’Eden d’Adam et Eve aurait été sur cette île, qu’elle abrite les mines de Salomon, qu’elle aurait été une terre d’asile pour des juifs, etc. Le fait qu’elle ait été juive, par exemple, expliquerait la circoncision et pourquoi manger du porc est interdit dans de nombreuses régions. Et, donc, manger du porc serait « manota fady » (une transgression).

Peut-être que les militaires, les politiciens, les citoyens qui ponctuent à chaque fois leurs discours d’un « Masina ny tanindrazana » n’y pensent pas de la même manière. Mais pour beaucoup, la matrie qui est sacrée approuverait la réaction de certains malgaches du web face à l’actualité car ce sont nos pêchés envers elle qui conduit à nos malheurs.

Conclusion

Les notions de sacré et de saint restent du domaine des croyances et de la foi. S’il est vrai que certaines manifestations sont inexplicables et peuvent être appelées miracles, c’est souvent l’Homme lui-même qui choisit et qui consacre un de ses semblables, un être imaginaire ou un objet comme masina. Mais, malgré tout, rendre une chose masina la transforme réellement, surtout dans le comportement de l’humain face à elle. Et de ce fait, si les malgaches disent « masina ny tanindrazana », ils devraient agir conformément à cette sacralité. Ils devraient aussi prévenir le monde entier que ce pays est sacré et qu’il ne faut pas le brûler, le piller, le souiller. Si les Malgaches pensent que le malheur qui survient à untel ou à untel provient de graves agissements envers Madagascar, ils sont peut-être superstitieux. Mais s’ils avaient raison ?

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