Ratsiraka : 5 théories sur le pourquoi de son livre
J’ai regardé la conférence de presse de Didier Ratsiraka du 12/08/2015 pour la sortie de son livre « Didier Ratsiraka : Transition démocratique et pauvreté à Madagascar » au Carlton.
Je ne sais pas encore ce qu’il y a dedans mais je ne peux que me demander quelles sont les motivations qui ont poussé l’ancien président à sortir cet ouvrage.
Mais avant d’énumérer les 5 idées qui doivent venir à la tête dès qu’on voit Ratsiraka à la télé, La première chose qui m’est revenue en le regardant c’était le véritable culte de personnalité qu’on lui a voué en son temps. Slogans, chansons, photos, rumeurs, tout était fait pour, presque déifier le personnage. 25 ans au pouvoir et il était en campagne permanente. Pour moi, je dis bien, pour moi, il y avait Kim Il Sung pour les Nord coréens, et il y avait Ratsiraka pour les malgaches.
3 lignes de cette chanson : O ry vahoaka izay manatrika eto… (Peuple présent en cette place)
Didier Ratsiraka no mampitambatra… (Didier Ratsiraka est celui qui rassemble)
Tsy maintsy mandresy ny tolom-piavotana…(La révolution doit gagner)
Et on était fier de lui. On l’est toujours. C’est un homme qui en impose. Un vrai président mais doublé d’un esprit tranchant et inusable. Il n’y a pas photo, aucun de ses successeurs ne peut rivaliser en terme de prestance, de discours et d’intelligence. En fait, après lui, en terme de classe, même si c’est le dernier critère pour être un bon président, on y va de pire en pire.
Zafy Albert, que Ratsiraka cite, lui-même, comme l’un des plus grands intellectuels de son époque a été laminé lors de leur face-à-face avant son ré-élection en 1996. Tout le monde se souvient de la partie où Ratsiraka l’accusait de ceci et de cela et Zafy répondait par de laconiques « et alors…et alors… ». Il lui avait rétorqué « Alors Alors-nao efa ho iray minitra » (Vos « alors » durent une minute, en faisant référence au temps de parole imparti). Ce face-à-face gagné, entre autres, a permis, alors, à Ratsiraka d’assurer son retour à la présidence après en avoir été chassé en 1991.
Ravalomanana, en 2002, a apporté l’espoir et un regain de nationalisme chez les malgaches. Il a été présenté comme un self-made man presque miraculeux. Il s’est imposé en se montrant à la fois intransigeant et pacifique. Vous vous souvenez peut-être que même l’immense Alpha Blondy a chanté Ravalomanana et sa sagesse. Malheureusement, ce dont beaucoup de malgache continue de parler, encore, c’est la fois où il a inauguré « la pont » ou « le pont » … peu importe puisque c’est toujours « tatezana » ou « tetezana »… peu importe. L’image du laitier à vélo, le campagnard continue de le hanter.
Enfin, Rajoelina, en se mêlant avec les plus lésés de la population, surtout de la mégalopole d’Antananarivo, est taxé de jiolahimboto (petit délinquant). Il est pourtant, à ce qu’on dit, le plus beau gosse des 5. Mais sa jeunesse et les décisions qu’il a pris et enfin avec le bilan désastreux de la transition ne jouent pas en sa faveur. Le dernier sondage, pour lui est la défaite de sa protégé à accéder à la mairie de Tana. Et je ne parlerai pas de l’actuel Président Rajaonarimampianina car ce n’est pas encore le temps pour lui de faire un bilan quoique ses débuts a été des plus chaotiques avec un discours d’investiture emprunté à un autre et qu’il est souvent comparé à un Hollande malgache.
Mais l’image que l’on donne, je le redis, ne devrait pas être le premier critère pour être considéré comme un bon président.
Revenons à notre top 5 pour les raisons, probables, de la sortie de ce livre de Ratsiraka, que je n’ai pas encore lu :
1- Pour revenir dans la politique?
Quand on lui a posé cette question. Il a d’abord répondu qu’en tant qu’officier de l’armée, il n’est jamais vraiment à la retraite jusqu’à son dernier souffle. La tenue de la réunion des 5 présidents est, quand même, la preuve qu’il reste incontournable dans le paysage politique malgache. Quand on lui a présenté la santé médiocre de son parti l’AREMA, il a dit qu’il n’est plus responsable de cette institution mais, pour, lui, l’Arema est victime d’une presque interdiction depuis 2002. Et quand on lui a demandé s’il se sentait encore capable de diriger le pays, il a dit qu’il était au crépuscule de sa vie et qu’il ne sait pas combien de temps il lui reste, alors. Il a pourtant, aussi, regretté d’avoir été disqualifié pour les dernières présidentielles pour des raisons qu’il juge inexactes.
Ces réponses sont ambiguës. On sent quelque part un tiraillement. Je ne sais pas ce qu’il y a dans le livre et s’il y donne une réponse précise. Je ne dirai pas que Ratsiraka prévoit de redevenir président mais je parierai que si on lui tend la perche, il ne repoussera pas.
2- Pour revenir dans les affaires?
Il a dit qu’il veut désormais servir le pays même sans en être le président. Il a dit, par exemple, que si on lui donnait le mandat, il connait des gens qui peuvent fabriquer une grande raffinerie, des centrales solaires, des autoroutes partout sur l’île. Il a rappelé qu’il avait cette vision, et qu’il l’a encore. Je parle de vision, dans la tête.
A ce moment, je me suis souvenu de ce mec, à Paris. C’était un français, un ami d’un ami de quelqu’un dans la famille qui nous a ramené en voiture après une fête. Il m’a demandé des nouvelles du pays car c’était, en fait, un ami commun avec Ratsiraka. Il disait des trucs, dont je ne me souviens plus pour la plupart. Vous savez bien, le genre de truc que l’on raconte 20 ans après. Il disait qu’il faisait des affaires à Mada et qu’il était, en quelque sorte, « protégé » mais quand Ratsiraka a été chassé du pouvoir, il a du rentrer car on lui menait la vie dure. La partie dont je me souviens c’était : »Vous savez, en 1996, Ratsiraka était fini, il vivait dans un appart, ici, et il n’avait plus rien, rien du tout, … et vous l’avez réélu ».
Je ne sais pas si le livre parle de cette partie de sa vie. Mais, malheureusement, depuis toujours, la politique et les affaires vont de paire à Madagascar. Alors, comme il l’a si bien conclu, Ratsiraka propose mais c’est aux dirigeants de l’écouter ou pas (Atsipy ny teny eny an-tandroky ny omby, atsipy ny teny ao am-pon’ny mahalala : on lance la corde vers les cornes du bœuf, on lance les mots dans les cœurs des connaisseurs).
3- Pour améliorer son rôle dans l’Histoire?
On se souvient bien de son « Non, rien de rien, non, je ne regrette rien » chantonné lors de son retour d’exil. Maintes fois, cela a été rappelé lors de l’interview et toujours, il a défendu son bilan. Dans le livre, il se disculperait de l’assassinat de Ratsimandrava. Il donnerait aussi des explications sur d’autres affaires le concernant. Il se laverait du 10 Août 1990 où l’on a massacré le peuple venu « attaquer » le palais de Iavoloha. Un évènement qu’il a mis en parallèle avec le 07 Février 2009 à Ambohitsirohitra lors de l’entretien télévisé en expliquant qu’il ne faut jamais violer une zone rouge.
Je ne sais pas si c’est dans le livre, mais à la télé, il a aussi expliqué ses choix politiques et économiques en se défendant qu’il n’a jamais été la cause de l’endettement et de la pauvreté du pays. Pour moi, un livre, écrit par Ratsiraka ne peut être que la version de Ratsiraka. J’espère que, nous, qui avions vécu sous son ère, puissions aussi graver nos mémoires pour que l’Histoire se rappelle de tout et non pas d’un seul son de cloche.
4- Pour dire la vérité?
Si le livre contient la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, ce sera un best-seller. C’est assuré. Il y a tellement de zones d’ombres dans l’histoire contemporaine de ce pays. Mais, encore une fois, de simples déclarations ne pourront suffire. Il faudrait des preuves, aussi. Par exemple, celui qu’il désigne comme possible responsable de l’attentat meurtrier contre le Colonel Ratsimandrava est déjà mort. Il ne pourra pas se défendre. Comment pouvons-nous nous assurer que c’est vrai?
Le livre explique-t-il toutes les « affaires » de l’ère Ratsiraka? Je ne le croit pas. On sait bien que toute vérité n’est pas bonne à dire. Quels intérêts aurait-il pour tout dire, surtout s’il est responsable de quelques bavures?
5- Pour se laver de ses pêchés?
Sauf si, sentant le crépuscule venir, il décide de se confesser pour de vrai. Je n’y crois pas du tout mais pour le savoir, il faudrait lire le livre.
Mais je ne veux pas faire la promotion d’un livre. Ce n’est pas le but de ce blog. Et je ne veux pas juger qui que ce soit. Les présidentielles sont dans moins de 2 ans maintenant. L’échiquier commence à bouger et les pièces se mettent en place. Rajaonarimampianina a une majorité de maires et il peut, à tout moment, se risquer à dissoudre l’Assemblée Nationale pour avoir, peut-être une majorité parlementaire avant les élections. Ravalomanana possède, par le biais de sa femme, la mairie d’Antananarivo, tremplin reconnu pour la présidence. Rajoelina, de temps en temps, se manifeste au pays et Ratsiraka sort un livre. Je dirais que tout ça, ça promet.