À Madagascar, à la guerre comme à la guerre

Article : À Madagascar, à la guerre comme à la guerre
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15 décembre 2017

À Madagascar, à la guerre comme à la guerre

Madagascar serait le seul pays qui s’appauvrit sans avoir connu la guerre.

C’est vrai que, depuis l’indépendance, le pays n’a pas eu à défendre son territoire d’un envahissement et il a aussi évité les guerres civiles. Pourtant, dans une certaine mesure, des malgaches peuvent témoigner de scènes dignes d’un pays en conflit.

Manger

Pour moi, ça a commencé très tôt. Dans l’insouciance de mon enfance, je n’ai pas compris combien on était pauvres dans ce pays. J’avais la chance de pouvoir aller à l’étranger. Et quand on y allait, on rapportait surtout des denrées alimentaires. C’est là que ça a commencé et c’est pour ça que même maintenant, quand quelqu’un revient de l’étranger dans la famille, il doit rapporter du chocolat, du fromage, de la pâte à tartiner ou des mouchoirs à jeter. C’est parce qu’il y a eu un temps où on n’avait pas ça ici.

Un jour, à la cantine de l’école, on avait du vary amin’anana à midi, une soupe de riz aux brèdes sans autre accompagnement. J’étais en primaire dans une école privée et malgré mon jeune âge, j’ai pensé que je ne mangeais pas pour ce que mes parents payaient. Pourtant c’était normal, car il y avait la pénurie. Mais ça n’a pas été la seule fois. Encore aujourd’hui, il arrive que le riz, la base de notre alimentation, vienne à manquer. Quand celui-ci devient trop cher, comme cette année, il nous est arrivé d’essayer autre chose que le riz. Cela fait des plats bizarres pour moi, inhabituels : de la soupe salée de manioc, des frites de potirons, des épluchures de pomme de terres frites. J’ai vu des gens égayer leurs repas de scarabées rôtis, de sauterelles grillés.

Le choc, pour moi, a été quand j’ai passé une semaine à la campagne, à 50km de Tana. On était chez des gens qui ne sont pas de ma famille et qui d’un côté n’avaient pas la même éducation que nous et de l’autre ne comprenaient pas qu’on était des petits citadins et pas habitués à la dure vie en campagne. Pour eux, c’était à nous de nous y faire.

L’important, c’est le riz. Même sans accompagnement

Le matin, on se levait, il n’y avait pas de petit déjeuner. Rien. A 6 heures du matin, tout le monde était déjà dans les champs, sauf ceux et celles qui étaient en train de préparer le déjeuner. Ce déjeuner, on le prenait à 10h du matin. Il y avait du riz, beaucoup de riz et il ne fallait pas se retenir d’en manger car c’était le seul repas de la journée. Mais comme accompagnement, il n’y avait qu’un peu de pommes de terres cuites à l’eau salée ou d’autres légumes cuisinés pareil. Heureusement, il y avait un goûter à 16h fait de haninkotrana (manioc, patate douce, etc.). Là, c’était servi nature, sans sel ni sucre. Quand je pense qu’à l’heure où j’écris, des millions de malgaches vivent leurs journées de cette manière.

Mais le pire, c’est quand j’ai visité la prison à Antananarivo. On a été là-bas avec la chorale pour animer un culte le samedi. On les a vu préparer leur repas, le partager et le manger. C’était un bol de manioc pour toute la journée. J’en ai eu des cauchemars.

J’ai, aujourd’hui, la chance de manger à ma faim. Et quand ce qu’il y a dans la marmite ne me plaît pas, je dois juste me dire que c’est à la guerre comme à la guerre.

Se protéger

Quand j’étais enfant, on m’a aussi initié au « misisika bus », faire la mêlée pour entrer dans le bus. On habitait dans la banlieue nord et il y avait de grand bus comme on en voit encore en Afrique; un peu comme le bus rapide de Dakar. Certains étaient des camions carrossés. Mais, même si les tananariviens arborent toujours ce sourire ineffaçable, qui s’apparente plutôt à un rire nerveux, l’opération n’est pas sans risque. Il faut, d’abord, savoir détecter l’arrivée du bus, démarrer sa course à temps, éviter de tomber sous ses roues ou de se faire tamponner (ce qui est déjà arrivé à au moins 5 personnes de mon entourage). Ensuite, il faut faire la mêlée. Certains jouent des coudes, d’autres des fesses. Mais il faut avancer vers la porte. Enfin, il faut éviter de se faire vider les poches, ce qui arrive à au moins un habitant de Tana chaque jour.

Une émeute? non, juste « misisika » bus

J’évite ça à mes enfants. Moi, j’ai appris à vivre comme ça. C’est comme un jeu, un peu dangereux.

Émeutes, pillages? non, juste une chasse aux vendeurs de rue

Quand on voit, soudain, des gens qui courent partout. Ma mère m’a appris qu’il devait y avoir un « rotaka ». C’est peut-être une manifestation, une alerte à la bombe, des émeutes, mais en tout cas, c’est un rotaka. Il faut se mettre à l’abri. Bien sûr, c’est « open bar » dans tous les commerces alentours mais je n’y ai jamais participé. C’est vrai que dans ces moments, c’est comme une fête macabre. Certains gagnent des téléviseurs LED, d’autres des cartons de smartphones, mais d’autres encore perdent leur gagne-pain, leur vertus ou leurs vies. Honneur aux gagnants, comme on dit : à la guerre comme à la guerre.

Survivre

Mais même au milieu d’une bataille, malgré le stress et la drogue, un soldat fatigué finit par s’endormir. Ici, on dort avec une alarme. Le moins cher reste un sifflet suspendu près du lit. On s’endort mais on sursaute au moindre bruit suspect.

La lumière et l’alarme sont activées

La première fois que j’ai entendu un sifflet la nuit, j’étais un enfant. Cela m’a glacé le sang, tellement, que mon cœur a frappé si fort dans ma poitrine. J’ai vu les hommes de la maison sortir puis c’était l’attente dans le noir et le silence avant qu’ils ne reviennent pour raconter.

La dernière fois que j’ai entendu un sifflet la nuit, je crois bien que personne n’est sorti pour voir. L’ennemi est devenu trop fort. Il ne reste plus qu’a attendre les gens qui vont raconter le matin. Heureusement, il arrive que des personnes du voisinage soient bien armés, bien protégés par des agences de sécurités ou qu’il y ait la police qui ouvre un bureau dans le quartier.

Mais il y a des endroits où les dahalo sont si sûrs d’eux qu’ils se permettent de prévenir les villageois  de leur attaque. Les dahalo, à l’origine, ce sont des voleurs de bétails. Mais aujourd’hui, on parle de centaines, voire des milliers d’hommes armés qui font des exactions. Je ne sais pas comment appeler ça.

Imaginez dormir dans un village qui vient de recevoir un message sur un papier qu’on a déposé sur le palier de la porte du Chef de Village. Dessus, il est écrit que l’on viendra attaquer dans la nuit. J’ai déjà été victime de cela, mais c’était un canular. Heureusement? En tout cas, si cela avait eu lieu, on n’aurait pas pu demander d’aide : on est coupés du monde. C’est la guerre.

Une autre fois, des dahalo ont attaqué notre convoi, dans lequel il y avait des dizaines d’enfants partant en vacances. Le pare-brise a volé en éclat sous le coup d’une pierre provenant d’on ne sait où mais on a continué à rouler. Avec ce qui se raconte dans les journaux, je n’ose imaginer ce qui  aurait pu  nous arriver.

Les taxi-brousses, souvent victimes d’attaques de coupeurs de route

Madagascar est un pays pacifique. Le peuple malgache est réputé pacifique. Quand j’ai raconté quelques folies de quelques habitants de l’île, beaucoup ont réagi pour me dire que non, les malgaches ne sont pas des sauvages qui font des sauvageries. Et je suis d’accord.

Mais Madagascar est en guerre. Notre principal ennemi est la pauvreté, et contre elle, on n’a pas beaucoup d’alliés. Je dirais même que ceux qui sont venus soit disant pour nous aider, et qui sont repartis nous laissant plus pauvres qu’avant doivent être des commandos de l’ennemi. Et sur place, dans toutes les couches de la société, il doit y avoir beaucoup de collabos. Et la résistance peine.

Je dirais que le vrai paradoxe c’est que ce pays est en guerre depuis 60 ans mais que personne ne s’en rend compte.

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