Comment un selfie a sauvé la vie de mon fils

Article : Comment un selfie a sauvé la vie de mon fils
Crédit: Wilkernet CC
26 octobre 2017

Comment un selfie a sauvé la vie de mon fils

Ceci est une histoire vraie car elle est arrivée à mon fils et, donc, à notre petite famille. Ce jour-là, mon fils a failli mourir, mais il a été sauvé par un selfie.

Mon fils avait 5 ans au moment des faits. Mais à 5 ans, il ne communique pas encore. Il est ce que les francophones appellent un enfant dysphasique, ce que les anglophones désignent par « out of sync » (décalé, déconnecté, désynchronisé, déphasé, etc.). C’est le cas de tous mes enfants, alors ce n’est pas exceptionnel pour nous. Mais pour mieux comprendre, il faut savoir que ces enfants ont une intelligence comparable à celle des enfants de leur âge, peut-être même supérieure en certains points, mais ils ont du mal à communiquer verbalement. Souvent, on confond les enfants dysphasiques avec les enfants autistes et il est vrai que le manque de communication verbale peut amener un enfant dysphasique à développer des attitudes autistiques. Mais en général, il cherche à communiquer par d’autres moyens.

J’ai plusieurs enfants et le surnom que l’on a donné à celui-là est « Fugueur », car il a tendance à s’enfuir lorsqu’il sait qu’aucun grand ne le regarde. Fugueur a donc 5 ans et il est en vacances avec sa famille au bord de la mer à Mahajanga, à l’ouest de Madagascar. Le bord de mer de la ville de Mahajanga, à côté du port, est un lieu de rassemblement pour tous les majunguais, les vacanciers et les touristes, surtout en fin d’après-midi quand la chaleur commence à baisser.

Des petites voitures pour promener les enfants
Image : layandri

Vers 5 heures du soir, l’endroit commence à être parsemé de gens qui prennent place sur les bancs publics tandis que des saisonniers commencent à étaler leurs manèges ou leurs étals de nourriture. La famille de Fugueur s’installe sur un de ces bancs juste à côté d’un manège tenu par des saisonniers venant de la capitale Antananarivo. Les enfants demandent à faire des manèges et les adultes essayent de les faire patienter. Quand même, il y a des petites voitures qui font faire un tour aux enfants et Fugueur et ses frères en prennent une à tour de rôle.

Fugueur est émerveillé par ce qu’il voit : la mer, les manèges, les gens. Il ne pense qu’à s’amuser et découvrir. Comme les malgaches les appellent, il est de ceux qui « ne savent pas ce qui peut les tuer ».

La mère de Fugueur vient d’accompagner quelques-uns de ses frères faire un tour en voiture quand elle est revenue près du banc et a constaté que Fugueur a disparu. Elle demande aux autres adultes qui étaient là et eux croyaient que l’enfant était avec elle. Ils sont 5 « grands » à avoir été, une fois de plus, bernés par Fugueur et aucun n’a remarqué où il est parti. Stupéfiés, incrédules, ils ont mis quelques secondes à réagir et, comme dans le parabole de Jésus, ils ont tous laissé les enfants « sages » sur place pour partir à la recherche du fils prodigue.

Pendant 5 minutes, ils ont fait deux équipes pour longer le « bord » chacune dans une direction. Au retour, bredouilles, ils ont décidé d’étendre les recherches aux rues adjacentes. Le papa de Fugueur est rentré assez loin dans la ville pour ressortir au bout du « bord » et longer une fois de plus le trottoir qui borde la mer déjà plein de monde et de plus en plus sombre. De son point de vue, le bord est une falaise et justement, personne ne s’aventure sur les rochers noirs et coupants qui le constituent. Et surtout, selon la marée, l’eau qui est tout en bas de la falaise peut monter au niveau de la route. Mais il aperçoit des jeunes qui prennent des photos au dessus de la falaise et qui osent s’avancer de plus en plus près du bord.

Quand la marée monte, l’eau atteint le niveau de la route
Image : layandri

Le papa hâte ses pas et comme souvent, ses pensées vont plus vite que lui. Est-ce que c’est un enlèvement pour une rançon ? Si c’est le cas, il pourrait recevoir d’un instant à l’autre un appel sur son téléphone. Le téléphone a de la charge. Et s’il est parti en ville, quelles sont ses chances de survivre alors qu’il ne sait pas traverser les rues ? Pourrait-il passer une nuit entière dehors même si le climat est doux à Mahajanga ? Le papa décide de visiter toutes les maisons alentours.

La maman de Fugueur revient sur le banc, cela fait 15 minutes que l’enfant est recherché, toujours avec le même résultat, aucun des 5 adultes n’a vu le bébé. En faisant un petit calcul, elle s’aperçoit que ça fait déjà une demi-heure que le bébé est parti. S’il a couru dans une direction, il doit être déjà très très loin. Elle décide de calmer les autres enfants qui sont en train de pleurer et ils font une petite prière.

Rindra (le prénom est modifié pour l’histoire) est un travailleur d’une entreprise qui installe des manèges partout dans Madagascar. Aujourd’hui, il surveille son camion pour cinéma 5D avec ses collègues. Un homme bizarre, courtois mais un peu sans gêne, est tout à l’heure entré sans permission dans la salle de projection en demandant si on n’a pas vu un enfant rôder autour du camion. Derrière lui, les jeunes sont tout près du bord de la falaise pour leur séance photo. Ils ont décidé de faire un selfie plongeant au dessus de la falaise et en vérifiant une photo, ils ont trouvé une tâche de couleur derrière eux. Ils se sont retourné et ont crié « Misy tsaiky anaty rano » (Il y a un enfant dans l’eau). En tananarivéen qu’il est, Rindra n’entend pas « enfant » (« zaza » en dialecte des hauts-plateaux, « tsaiky » en dialecte de l’ouest) mais « sac ». Il a couru pour voir si le sac en valait la peine et il a tout de suite compris que « ce n’est pas un sac mais un bébé ». Sans hésiter, il a dévalé la pente avec précaution pour se retrouver en bas et tirer l’enfant de l’eau. Il a raconté plus tard : « l’enfant était sur le ventre, sous l’eau et il était coincé entre deux rochers par la taille. Je l’ai tiré et suspendu par la jambe en lui tapotant le dos et il a vomi de l’eau et s’est réveillé en souriant. »

La maman de Fugueur vient de finir sa prière quand elle entend une clameur au bord de la falaise. Elle, qui a une très grande foi, a tout de suite compris que c’était son fils et elle a couru en direction de l’attroupement. Là, elle voit Rindra qui tient l’enfant et qui remonte la falaise en criant d’un ton réprobateur : « qui est la maman de cet enfant ? » La maman, toute frêle, avec ses airs d’adolescente répond : « je suis la maman de cet enfant ! » Rindra la regarde et, considérant que ce n’est pas sérieux, réitère son appel : « où est la maman de cet enfant ? ». La maman n’y tient plus et arrache l’enfant de ses mains.

Rindra, avec le sentiment d’avoir sauvé une vie, s’est effacé discrètement, mais il passera la nuit à revivre ces scènes et à se demander comment tout cela était possible.

Le papa revient d’une longue recherche dans la ville quand il a vu de loin la troupe de badauds. D’abord un soulagement, car cela voudra dire que les recherches sont finies, mais tout de suite une plus grande crainte car après 30 minutes, c’est peut-être déjà trop tard. Et pire encore, si l’enfant n’était pas retrouvé, peut-être que ces gens sont là pour un autre drame encore. Et en s’approchant, son frère, un peu maladroit, n’est pas du tout rassurant en disant « on l’a trouvé, il était la tête sous l’eau. » Quelle joie de voir l’enfant sourire dans les bras de sa mère. Les gens disaient tous leurs trucs : « il va bien, il est sauvé ! », « amenez-le à l’hôpital. »

On l’a emmené à l’hôpital et ils l’ont laissé partir après avoir nettoyé ses égratignures. Il a eu des difficultés à respirer les deux jours suivants. On l’a surveillé et on lui a donné ses médicaments d’asthmatique. Au bout de trois jours, on a été enfin soulagé et en croisant Rindra près de son camion, on a eu une discussion tout à fait surréaliste à propos de l’événement.

Vue nocturne sur le phare de l’île de Katsepy depuis le Bord de Majunga Image : layandri

Pour Rindra, il était impossible que ce bébé ait pu berner les dizaines de personnes présentes et qu’aucune d’entre elles ne s’aperçoive de rien. Peut-être que quelqu’un l’a aidé à monter le muret qui limite le trottoir et puis à descendre la falaise. Et cette falaise ! Comment serait-il descendu seul sans se blesser ?

Le papa a voulu reconstituer le déroulement de la scène. Profitant d’un moment d’inattention pendant que les enfants s’échangeaient de place dans les petites voitures, Fugueur est parti droit vers la mer. Chaque adulte pensait qu’il était dans l’autre groupe. Pour grimper le muret, il a peut-être demandé l’aide d’un adulte ou d’un autre enfant qui passait là, à sa manière. Puis, pour descendre, on ne sait pas comment mais il était parvenu jusqu’en bas, où il avait pied. Il a joué quelques instants avec la mer comme il le fait à la plage. Puis en 30 minutes, l’eau a monté très vite et les vagues ont commencé à le frapper et à le plaquer contre les rochers. C’est là qu’il s’est fait des égratignures aux jambes. Impossible pour lui de remonter en grimpant aux blocs de pierre. Quand le courant a été assez fort pour le faire tomber et le ressac prêt à le tirer au large, il s’est retrouvé coincé entre deux rochers par sa taille. Il est resté comme ça quelques minutes avant d’être submergé. Mais après quelques secondes seulement sous l’eau, il a été sauvé par Rindra.

La maman de Fugueur rappelle qu’une fois de plus, Dieu a montré dans la vie de la petite famille qu’Il existe. Elle rappelle qu’il y a trop de coïncidences pour qu’on parle de hasard. Dieu s’est déjà manifesté comme cela, en laissant d’autres frères de Fugueur dans la tourmente et en les sauvant au dernier moment d’une manière miraculeuse. Par exemple, il y avait ce chirurgien qui a dit, à propos d’un grand frère qui était malade : « Vous avez bien fait de l’avoir transféré ici, si vous aviez attendu une ou deux heures de plus, cet enfant serait mort. » L’autre fois, un autre frère a failli se défenestrer par accident. Il s’en est fallu de quelques secondes. Et cette fois, on ne sait pas combien de minutes l’enfant était dans l’eau, mais ce qui est sûr c’est que quelques secondes de plus et c’était la fin.

Et si vous ne croyez pas en Dieu où à quelque chose de supérieur qui dirige les événements, comment nous expliquer qu’au moment où une prière ait pris fin, un inconnu décide de se mettre sur un rocher, faire un selfie plongeant pile 20 mètres au-dessus d’un enfant qui se noie ? A cause de l’angle, cet enfant était invisible à tout le monde, il fallait faire le geste du selfie pour révéler sa présence. Et il y a un kilomètre de bord de mer, mais il a choisi cet endroit pour sa photo. Le titre de cet article parle d’un selfie qui a sauvé la vie d’un enfant, mais à vrai dire, c’est plus qu’un selfie, c’est un miracle.

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