Mon parcours d’inadapté scolaire dans les années 1990 à Madagascar #Mondochallenge

Article : Mon parcours d’inadapté scolaire dans les années 1990 à Madagascar #Mondochallenge
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7 juillet 2017

Mon parcours d’inadapté scolaire dans les années 1990 à Madagascar #Mondochallenge

Ah ! Que de bons souvenirs je garde de mes horribles années au collège et au lycée dans les années 90.

Je profite du mondochallenge et de l’actualité à Antananarivo avec la vidéo qui a fait un buzz cette semaine pour écrire ce témoignage. Après ces années de recul, je commence à comprendre beaucoup de choses.

Tout n’est pas de ma faute mais j’étais, je pense, inadapté à l’école. Je n’étais pas un idiot fini même si la moitié des profs croyaient que c’était le cas. Il faut aussi dire que l’autre moitié pensait, au contraire, que j’étais un petit génie. Moi je m’en moquais, presque complètement.

Je détestais l’école

Une journée d’école n’était pas vraiment un supplice. J’adorais même venir 30 minutes à l’avance pour jouer dans la cour ou causer avec les amis. Les autres bons moments étaient la récréation, quand le prof racontait sa vie et d’autres mythes et légendes urbaines, quand il sortait 30 minutes en nous laissant un exercice que je ne faisais pas ou que je finissais en cinq minutes. Et le summum du plaisir c’était, bien sûr, la cloche à la fin des cours. J’allais pouvoir courir à la maison et regarder MaTV (la seule chaîne privée en ce temps) ou jouer dans la cour de l’école jusqu’à tard le soir. Tout le reste de la journée était une purge.

Pour la connaissance, en fait, j’avais besoin de comprendre et cela suffisait. J’étais attentif aux leçons. Je n’aimais pas faire des révisions, des devoirs, des interrogations. Tout ce temps perdu ! Je préférais jouer, regarder la télé et faire l’école buissonnière. Mais je passais les examens, la plupart du temps haut la main, récoltant quelques tableaux d’honneurs. Personne ne soupçonnait que tout ça n’était qu’un château de cartes prêt à s’effondrer.

Nous étions nombreux

Sortant du primaire plus tôt que mes camarades, j’étais toujours le petit Poucet de la classe. Je voulais aussi être l’ami de tout le monde. J’aimais faire rire toute la classe. Jeux de mots, sarcasme, calembours, ah ! Je devais être pénible.

Le collège où j’étais est un de ces établissements payants mais bon marché qui accepte quasiment tout le monde. Cela donnait lieu à des classes qui comptaient entre 20 et 60 élèves. Il y avait des surdoués, des enfants très sages, des « bossistes ». Mais j’en avais vu aussi passer des camarades de classes paumés : des adolescents alcooliques, drogués, délinquants, insolents, accrocs au sexe avérés ou prétendus, des rebuts qu’aucune autre école n’a accepté et d’autres cancres dont on se demande comment ils ont pu sortir de la maternelle. Ils étaient mes camarades, mes amis. Ils et elles me racontaient leurs vies, à moi leur petit frère. Qu’est-ce que je n’ai pas entendu ? Je ne vous raconte pas.

Parfois je pense à ces centaines d’anciens camarades. Que sont-ils devenus ? Moi, j’ai une très mauvaise mémoire des prénoms mais je reconnais souvent les visages. C’est toujours un plaisir de se revoir et se remémorer ces années surtout en se disant qu’on s’en est finalement sorti.

Nous faisions des bêtises

Maintenant qu’il y a prescription, je vais donner la liste des bêtises que nous faisions. Ou peut-être pas ! Car l’article risquerait de ne pas finir… Donner des surnoms aux profs, bavarder, ne pas faire nos devoirs, tricher, ça c’était classique. Mais on avait d’autres exploits au compteur.

Il faut comprendre que les années 1990 à Madagascar, c’était encore très « cool ». Le temps où il n’y avait pas autant de chaines de télé, pas de portable, pas de tablette, le temps des cassettes, des vidéo-clubs, des bornes arcades et des gros bus de Tana.

Une fois, nous étions entrés dans un autre établissement, juste comme ça car en ce temps-là, les malgaches n’avaient pas encore peur des kidnappings et il n’y avait aucune fouille à l’entrée des écoles. On y a rencontré notre prof qui attendait son fils et il nous disait : « Hé les gars ! Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous courez les filles ? Vous allez voir, je vais le dire à votre prof d’Histo-Géo que pendant son cours, vous ratissez les écoles à la ronde ». Une autre fois, en classe, le prof nous a laissé des tonnes d’exercices en disant : « Je reviens, finissez et on fera la correction ». Au bout de 15 minutes, nous étions sortis et jouions au basket. Le surveillant, un jeunot fou de basket a sorti la tête de son bureau : « Hé, les gars, vous n’avez pas cours ? Qu’est-ce que vous faites ? » – « On attend un sixième pour faire un match à 3 contre 3 » – « Euh… bougez-pas, je viens ». Une autre fois, nous avions cours avec un prof qui avait toujours 30 minutes de retard. Un jour, on a tous décampé avant qu’il n’arrive, lui laissant une classe vide. Aucun pion ni membre de la direction n’a vu quoi que ce soit. Et ce ne sont là que des exemples.

Les profs qui aimaient bien châtiaient bien

Venons-en au sujet d’actualité. Oui, la violence des profs, ça existe. Mais il ne faut pas généraliser. Parfois, même, ce sont les profs qui subissent des attaques verbales ou physiques.

Sur le buzz de la semaine, j’ai déjà donné mon point de vue dans l’article des Observateurs. Mais ce qu’on oublie souvent dans l’adage « qui aime bien châtie bien » c’est la répétition du mot « bien ».

« Aimer bien » c’est aimer comme il faut. Un prof qui aime « bien » ses élèves aura un amour correct. Il ou elle maternera peut-être ses élèves et aura un ou une petite préféré(e) mais son instinct maternel réveillé ne doit même pas être perçu par les élèves. Il ou elle doit être impartial(e). Nous avions des profs qui sortaient avec des élèves ou qui les harcelaient devant les autres élèves. Aujourd’hui, peut-être, ils iraient en prison mais pas en 1990 à Madagascar. Ça, aussi, c’est aimer « mal » un élève.

La vocation d’enseigner, c’est une envie très forte de transmettre un savoir et d’utiliser tous les moyens qu’on a à disposition pour y parvenir. Il faut d’abord l’avoir, cette vocation. Après, chacun a ses méthodes d’enseignement et la plupart du temps, ces méthodes prévoient des punitions. Mais punir n’est pas le seul moyen d’avoir l’attention et le respect des élèves. Enseigner est une vocation et s’il reçoit des salaires, l’éducateur est encore plus heureux lorsqu’il voit un de ses élèves devenir quelqu’un de bien, pas un psychopathe ou un traumatisé.

« Châtier bien », donc, ne veut pas dire frapper de manière optimale en vue de faire bien souffrir ! Tout le monde n’est pas d’accord sur comment il faut frapper un enfant pour qu’il apprenne « la leçon ». Des parents malgaches disent : « Ny anahy rehefa tratrako ataoko marary amin’izay fay! » (Le mien, quand je l’attrape, je lui fait bien mal pour qu’il s’en souvienne). D’autres sont contre donner des coups mais préfèrent les séances de « morale ». En France, le débat sur la fessée a débouché sur le maintien de son autorisation, il est encore admis que la punition corporelle peut être tolérée sous certaines formes et à certaines occasions.

Nous, au collège, on en a bavé, avec nos bêtises. A genoux, faire la chaise, les mains sur la tête, marcher à genoux, donne-moi ta main pour que je te frappe ! L’autre côté, sur les doigts ! Pince-oreille, jet de craie ; « copiez mille fois » ; « Sortez, je vous dis sortez !  Si vous ne voulez pas sortez alors c’est moi qui va sortez » disait un prof de maths peu soucieux du verbe. Ça, c’était les gentils profs. Quand ça dérapait, quand l’exaspération était à son comble, quand un élève était particulièrement méchant, j’ai vu des gifles et des baffes et parfois des coups de pied aux fesses voler dans tous les sens, le tout accompagné d’insultes en tous genres.

Quand on est enfant, on le sent parfois quand quelqu’un vous frappe de colère et de méchanceté et vous êtes choqué ou s’il le fait en calculant, en voulant « corriger », presque parce que tu le mérites et que c’est pour ton bien et là, vous ne ripostez pas. Je ne garde aucune rancune envers aucun de mes profs qui m’ont déjà puni. Mais avoir peur des punitions et même des réprimandes m’a fait encore plus fuir les heures de cours.

J’ai eu mon purgatoire

Je n’étais pas tout le temps dehors. J’ai quand même été présent la majorité du temps. Présent, physiquement j’entends ! Dans ma tête, je voyage, comme toujours.

Parmi les premiers de la classe en 1ère, j’ai voulu passer le bac série C (maths-physiques) en terminale car c’était le bac de prestige et celui de mes parents. Les malgaches disent : »L’insensé est comme son père », alors, je devais commencer par l’avoir pour espérer un parcours meilleur que celui de mes parents. Mais la première fois au Baccalauréat, car il y aura plusieurs autre fois, j’avais des 0/20 presque partout. J’étais effondré !

Là, j’aurais pu chercher un bac littéraire que j’aurai empoché avec facilité mais j’ai persévéré ou plutôt je me suis entêté pour avoir mon précieux Bac série C au bout de la quatrième tentative. Pourquoi ? Parce que j’avais entendu cette phrase qui allait devenir le guide de ma vie étudiante et professionnelle. Une phrase anodine. Elle disait pour nous aider dans notre orientation : « Étudiez ce que vous ne savez pas encore« .

Non, rien de rien ! Non, je ne regrette rien !

« Étudiez ce que vous ne savez pas encore ». C’est tout à fait le contre-pied de ce qu’on enseigne dans l’orientation des élèves. Au contraire, on apprend aux éducateurs à déceler les talents des enfants et à les encourager dans ce sens. C’est comme ça qu’on voit des petits forts en calcul devenir des docteurs en maths, des forts en SVT devenir des médecins, des forts en langues devenir des linguistes, etc. Étudier ce que je ne sais pas encore, c’est ce qui a fait la personne que je suis devenu. Je ne suis pas parfait et j’aurais pu aller plus loin dans mes études. J’aurais pu être un cadre supérieur ou un grand patron. Mais ce que je suis maintenant, c’est quelque chose que je kiffe ! Je n’ai aucun regret parce que je n’ai jamais eu à sacrifier aucune des mes passions, ni ma vie de famille avec mes 5 enfants ni ma religion. Et je continue encore à apprendre et expérimenter de nouvelles choses.

Calculez, pesez, mesurez et vous verrez souvent que de tout ce que vous avez appris, surtout après le bac, une infime partie vous sera vraiment utile au boulot. Quand vous rentrez dans l’entreprise, ou si vous montez le votre, vous allez passer les premiers mois et années à apprendre, encore. Et face à chaque nouveau changement, il faudra encore et encore s’instruire.

Finalement, ce que je devais savoir, vraiment, c’est comment moi, j’apprenais. Et l’école à la malgache n’est vraiment pas mon truc. A ma 4ème année de terminale, à 15 jours du Bac, lorsque même dans ma famille on a compris que j’apprenais mieux en étant relax et tout, mes parents ont décidé qu’on devait aller en vacances à la plage. Pas de révision, rien que des journées à la plage, la baignade et les bains de soleil. Et j’ai eu mon bac !

Voilà mon parcours d’inadapté scolaire au collège et au lycée. Dieu m’a donné des enfants et au vu de leurs notes, je pense que mon expérience pourra leur servir. L’un d’eux m’a montré son bulletin. « Arithmétique : 10/10 », « géométrie : 0/10 », ou encore « vocabulaire : 20/20 » et « grammaire : 0/20 », incompréhensible. Quand on lui a demandé « mais, comment et pourquoi ? » c’est juste que « parfois je n’avais pas envie ! ». Souhaitez-moi du courage ! Mais si un jour c’était possible, je rêve de créer une école qui ne chercherait pas à formater les élèves mais qui saurait s’adapter à chaque enfant.

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