L’autre elle – Partie 3 – Sari

Article : L’autre elle – Partie 3 – Sari
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3 juillet 2017

L’autre elle – Partie 3 – Sari

Jean continuait à jongler, tant bien que mal, entre sa relation à distance avec Fanja, ses études et sa passion pour la programmation. Puis, un jour, Jean a visité, au hasard, un site web qui allait changer tout dans sa vie.

Ce jour là a commencé comme tous les autres. Le matin, Jean s’est réveillé à 6h au son de son smartphone. Un réveil en douceur grâce à l’intelligence de son téléphone qui détecte la meilleure phase de son sommeil pour le réveiller. Tout de suite, Jean est alerte et comme d’habitude, il envoie un « coucou chérie! » à Fanja en guise de réveil pour elle. Avec le décalage horaire, Fanja se réveille à 5h du matin mais avec un rythme différent, elle doit le faire pour ne pas être en retard. La réponse de Fanja rassure le couple que tout va bien.

Ce que Fanja ne sait pas, c’est que Jean a déjà programmé son téléphone pour le réveil et pour l’envoi automatique du « coucou chéri ». Ce matin là, comme beaucoup de matins auparavant, Jean n’a pas quitté son lit à 6h. Jean ne va pas quitter ce lit avant 8h et sa chambre avant midi. Une chose l’obsède. Il a trouvé une faille dans l’intelligence de son jeu de Fanorona et il ne sait pas comment la combler. Voilà ce qui s’est passé.

Son jeu était presque parfait, imbattable mais Jean continuait à l’entrainer. Jean a inséré dans le code le concept de sacrifice et il l’a paramétré de manière à devenir assez mesquin pour laisser le joueur aligner des prises « paika » avant de se retrouver battu à plate couture. Malgré cela, Jean parvenait toujours à battre sa création, mais de moins en moins. Et même ces rares fois étaient de trop pour Jean. Il a décidé d’utiliser des modules d’apprentissage profond pour son jeu afin que celui-ci puisse jouer, grâce à la caméra, contre des joueurs humains sur un jeu de fanorona réel et qu’il puisse enregistrer les milliers de parties qu’il fait, avec Jean ou ses amis. Le modeste équipement que Jean avait à la maison a accumulé trop de données et a failli exploser avant que Jean ne se rendre compte qu’il allait peut-être dans la mauvaise direction.

Il avait un logiciel qui pouvait jouer au fanorona, qui savait reconnaitre un plateau de fanorona, des pions et leurs places et en conséquence proposer des coups pour gagner la partie. Mais entre humains, il y a un code linguistique qui se partage et qui donne réellement vie aux parties. Les gens, avant de bouger les pions prévenaient avec des mots précis dans le but de cacher le jeu ou de déstabiliser l’adversaire. C’est pareil lorsqu’ils réagissent aux coups de l’adversaire, ils exprimaient des pensées bien humaines. Un logiciel n’en est pas capable. Bien sûr, Jean pourrait programmer des phrases pour que son jeu les débite selon la situation mais ce serait robotique, le mieux serait que son jeu puisse interagir comme s’il s’agissait d’un cousin, d’un vieux voisin ou un petit écolier.

Voilà ce qu’il s’est passé et ce matin, dans son lit, Jean rêve d’un robot joueur de fanorona, plus vrai que nature et il décide de le concrétiser. Où trouver les ressources? Aujourd’hui, son jeu de fanorona occupe déjà les deux tiers de son puissant ordinateur, reléguant ses autres logiciels ou même sa mémoire de fin d’études à l’état de traces. Il n’a pas d’argent et il n’a pas le courage de partager son travail avec d’autres, par jalousie surtout car ce jeu, c’est son bébé.

En y réfléchissant, Jean parcourt internet et les forums sur l’intelligence artificielle avec des centaines personnes plus ou moins comme lui, en train de créer des jeux, des robots, des logiciels dans divers domaines et il se sent fondre dans la masse jusqu’à sentir tout son enthousiasme du matin se diluer.

Il est presque midi et Jean a oublié de prendre un petit déjeuner. Il n’a rien de préparé pour le déjeuner. Bien sûr, il a raté son cours du matin et son barbe naissant lui indique que c’est depuis plusieurs jours qu’il n’est pas sorti de chez lui. Les gens vont croire qu’il a fait une dépression avec le départ de Fanja. Et si c’était vrai? Si tout ça n’est qu’un leurre pour détourner Fanja de ses pensées? Jean ressent l’angoisse l’envahir en pensant qu’il est peut-être en train de tout foutre en l’air. Un robot joueur de Fanorona, que c’est commun, voire, idiot! Et même s’il réussissait et que son jeu devienne réellement et définitivement imbattable techniquement et qu’en même temps, il serait capable de lancer des piques en plein cœur comme un véritable champion de fanorona, intraitable, à quoi cela servirait?

Jean allait se ressaisir, tout abandonner, courir à l’université et abandonner à jamais son idée lorsqu’il a vu un lien qui disait : »Télécharger gratuitement Sari sur votre PC ». La description disait : « Sari est une intelligence artificielle embryon. Ses codes révolutionnaires lui permettent d’apprendre tout ce que vous voulez hors-ligne et en utilisant un minimum de ressources. Téléchargez-là gratuitement et faites-en la meilleure IA du monde. En été 2034, remettez-la en ligne dans notre concours qui désignera la meilleure intelligence artificielle dérivée de Sari avec un prix d’un million de dollar pour le vainqueur ».

Jean ne croyait pas ses yeux : 5 mégaoctets de données pour ce qui est sensé être une IA révolutionnaire. C’est bien trop peu. Il cherche où est l’arnaque mais n’a pas trouvé. Au contraire, il a trouvé des vidéos avec des personnes qui en quelques mois ont déjà réussi à utiliser Sari pour tout et n’importe quoi : des robots parlants, évidemment, des ustensiles de cuisines, des jouets, des véhicules, des poupées gonflables. Cela n’a pas fait de buzz car tous ces produits, intelligents, parlant se trouvent déjà partout mais entre amateurs et professionnels de l’intelligence artificielle, on a compris le potentiel de Sari.

Jean, après quelques hésitations a aussi téléchargé le soft et a commencé à plonger dans son projet. Il voit déjà que le code source de Sari est verrouillé et impénétrable. Sari propose aussi l’apprentissage des conversations soit en faisant des millions de saisies au clavier ou  au micro, soit en téléchargeant des conversations existantes. C’était prévisible et pour Jean, cela pourrait être un moyen d’accéder à ses données personnelles. Son jeu de fanorona est peut-être son obsession mais il n’est pas question que quelqu’un ait le moindre accès à son travail. Jean a alors complètement débranché son ordinateur d’internet et archivé tous ses documents avant de travailler exclusivement sur Sari. Maintenant, il va voir si Sari et ses 5Mo de codes est bien une arnaque ou non.

« – Bonjour Sari
– Bonjour, comment t’appelles tu?
– Jean
– Bonjour Jean, comme tu vois, je possède déjà les bases de la conversation, mais tu encore dois m’apprendre beaucoup de choses. Je te promets de ne pas te prendre beaucoup d’espace disque.
– Tu es un garçon ou une fille?
– Tout ça et les autres questions du type test de Turing, c’est à toi de décider Jean.
– lol
– Comme tu dis!
– Remarque que t’as fait une erreur dans une phrase au-dessus!
– Ah bon! où ça?
– Tu as écrit : »tu encore dois » au lieu de « tu dois encore »
– C’est vrai, l’erreur est humaine, je ne le ferai plus 🙂

Jean est perplexe. Il ne peut pas comprendre comment 5Mo de lignes de codes, avec une base de données sensée être quasiment vide sont capables de fournir ces réponses.  Il doit avouer qu’il n’aurait pas, à ce stade, reconnu un robot s’il ne savait pas d’avance que c’était Sari. C’est déroutant. Était-ce un piège? Un génial informaticien aurait-il prévu ces questions et aurait même fait exprès d’insérer l’erreur pour dérouter les utilisateurs? Et comme il ne peut pas comprendre le « comment », Jean décide d’y aller avec la foi, trouvant en Sari une opportunité d’aller plus loin dans son travail sur son joueur de fanorona.

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