Le pousse-pousse ressuscite dans les banlieues de Tana

Article : Le pousse-pousse ressuscite dans les banlieues de Tana
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8 janvier 2016

Le pousse-pousse ressuscite dans les banlieues de Tana

Chassé du centre ville, le pousse-pousse a depuis un certain temps trouvé le bonheur dans la périphérie d’Antananarivo.

Le pousse-pousse, ce moyen de locomotion originaire du Japon est l’une des facettes asiatiques de la Grande Île. Aujourd’hui, je suis prêt à parier que Madagascar est parmi les premiers pays au monde en terme de nombre de ces engins par habitant. L’utilisation du pousse-pousse est tellement ancienne et généralisée qu’on s’attribue même la paternité du nom français de ce jirinkisha (nom japonais).

Je me souviens de la toute dernière fois où j’ai pris le pousse-pousse à Antananarivo. Oui, je suis assez vieux pour avoir vécu cela. J’avais dans les 6 ou 7 ans et c’était du côté d’Andravoahangy. Petit à petit, les lois et décrets ont chassés ces véhicules du paysage urbain d’Antananarivo. Sauf pour prendre des photos sur l’avenue en temps de fête, il est impossible d’en apercevoir en centre ville. A vrai dire, ils ne sont pas vraiment partis mais se sont juste enlaidis et transformés en ces hideux chars à bras surchargés de marchandises ou de matériaux qui entravent la circulation. Déjà, se mettre sur un pousse-pousse est gênant, quand tu es assis comme un cocher derrière l’homme qui marche et qui court devant toi telle une bête de trait. Lorsqu’on voit ce ou ces pauvres gens charrier une tonne sur une charrette à la force des bras, on ne peut pas avoir l’habitude. C’est trop triste.

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Photo : Martin Kalfatovic

Mais comme on dit, il n’y a point de sot métier. Ce genre de travail,  tirer le char à bras, nourrit son homme, souvent sa femme et malheureusement ses enfants aussi. Mais comme on dit ici, il vaut mieux travailler dur que voler, il ne faut pas non plus chercher à interdire ce travail presque inhumain sauf si on a autre chose à proposer.

De l’autre côté, tracter un humain sur son pousse-pousse est un travail qui est mieux considéré. Il faut voir du côté d’Antsirabe, la capitale malgache du pousse-pousse pour voir combien c’est un métier admiré, envié. Non, pas à ce point là mais tu peux quand même trouver des enfants ou des jeunes qui vont dire que plus tard, ils voudront devenir tireur de pousse-pousse. Et c’est dans ces villes comme Antsirabe, Toamasina ou Mahajanga que le pousse-pousse continue à régner en maitre, survivant à chaque nouvel arrivant que ce soit les taxis, les bus ou les tricycles.

Selon le besoin, chaque ville a apporté des modifications techniques et fonctionnelles aux poussepousses. A Antananarivo, on a toujours le même avec une petite case juste pour une personne, une bâche et des roues en métal cerclé de caoutchouc. A vrai dire, la bâche et le capitonnage ont déjà disparus et il ne reste plus que la carcasse qu’on renforce pour soutenir plus de marchandises. Sinon, l’évolution est allé vers de petits chars à bras comme sur la photo avec des roues de voitures. Dans les autres villes comme Majunga, on a plutôt laissé la version originale qui avait de grandes roues et un capot rabattable au transport de marchandises tandis que la version « passager » est un peu plus petit avec des roues de moto sur des rayons métalliques. La version la plus aboutie semble être celle d’Antsirabe car cette ville présente des descentes et des montées ainsi que des routes plus ou moins bonnes. Et c’est aussi à Antsirabe que le cyclo-pousse s’est développé et est maintenant en assez grand nombre pour concurrencer la version à pied.

La version initiale encore utilisée à Toamasina
La version initiale encore utilisée à Toamasina

 

Le modèle Antsirabe
Le modèle Antsirabe

 

Antsirabe et Antananarivo se ressemblent beaucoup. S’il y avait de nouveau des pousse-pousses à Tana, ce serait surement la version Antsirabe qui aurait la côte. Mais c’est presque impossible. Dans les pays développés, on a tendance à les introduire pour le tourisme. Peut-être qu’un jour, une licence spéciale sera accordé à l’Office Régionale du Tourisme à Tana car une visite d’Analakely, Antaninarenina, Isoraka ou Andohalo ne serait pas si déplaisant à bord d’un pousse-pousse.

Tandis qu’autour de Tana, il y a de plus en plus de pousse-pousses qui transportent des gens. Il y en a à Andoharanofotsy, au Sud, par exemple. Il y a une station au croisement vers Bevalala. A partir de là, c’est le pavé puis la terre battue. Même les taxis qui sont là refusent d’aller trop loin dès que l’on quitte les pavés. J’étais là-bas, un jour pour aller du côté d’Ankadivoribe (village que les fans des films Malok’ila connaissent bien). Il y avait une vieille R12 qui a accepté de m’emmener. Le conducteur était causant. Il disait : « Moi, j’ai cette R12 qui est robuste et pour moi, tant qu’elle roule, je travaille et si elle tombe en panne, je répare et c’est tout! ». Et il continue : « Avec l’état de la route, les autres taxis ne vont pas loin et les pousse-pousses gagnent presque tous les clients ».

Il faut dire que la ville d’Antananarivo s’étend à vitesse exponentielle. En peu de temps, les communes voisines comme Andoharanofotsy, Ambohimangakely ou Sabotsy Namehana deviennent très peuplées sans que les infrastructures n’arrivent à suivre. Comme il n’y a plus de fracture, plus de no man’s land qui les sépare du centre ville, je dirais qu’il font partie de la mégalopole d’Antananarivo. De toute les façons, la majorité des gens qui y dorment viennent étudier ou travailler au centre, comme moi. Et c’est dans cette vision que du temps de Ravalomanana, on a voulu encercler le tout par l’inachevé By-Pass.

Je m’énerves un peu. Comme à Antsirabe ou Toamasina, les pousse-pousses sont les rois de la route dans les petites rues d’Andoharanofotsy. Klaxonnes comme tu veux! le pousse-pousse ou le cyclo-pousse occupera sa colonne comme il le voudra. Je suis en retard! Mais mon chauffeur est plus conciliant. Il a conscience que ces gars là travaillent avec leurs tripes. « Tu sais, me dit-il, ces gars sont très forts mais ils ne doivent jamais tomber malade car dès qu’ils tombent malade, ils meurent ». « Ah bon? » ai-je répondu, incrédule.

L’espérance de vie à Madagascar est autour de 65 ans. C’est à dire que la plupart des jeunes retraités malgaches s’en vont de suite pour la retraite éternelle, un vrai carnage. Mais tu ne verras jamais un tireur de pousse-pousse de 65 ans ou même de 60. A bien y penser, ce n’est peut-être pas le tireur de pousse-pousse qui est trop fragile face aux maladies. Il suffit de comprendre la logique : le mec travaille tous les jours pour un maigre butin. Son travail le fatigue et il peut tomber malade mais il n’a pas d’assurance maladie, pas de couverture sociale, rien du tout pour le protéger du moindre pépin. Il doit payer les frais médicaux de sa poche. Et s’il ne travaille pas, il ne gagne pas d’argent. C’est un cercle vicieux tout a fait mortel.

Alors, il y a des questions que je ne me poses pas. Par exemple, je ne me demande pas s’il faut se réjouir du retour des pousse-pousses autour de Tana ou « les pousse-pousses sont de retour, jusqu’à quand? ». Pour l’instant, c’est juste un constat. Les pousse-pousses et les cyclo-pousses retrouvent des couleurs aux alentours de Tana. C’est peut-être provisoire. Peut-être que dans 10 ans, on les retrouvera 10, 30 km plus loin. Plus de pousse-pousses aussi font plus de tireurs de pousse-pousses. C’est peut-être une bonne chose pour le taux de chômage ou c’est juste une filière informelle de plus qui échappera à l’IRSA et à la couverture sociale.

Donc, la vraie question serait : faut-il ou non encourager son utilisation? Ma réponse est « pourquoi pas? ». Mais, bien sûr, il faudrait des routes larges comme à Antsirabe ou dans les villes côtières. Et il faudrait, aussi, voir la situation de ces gladiateurs qui vendent si cher leur peau pour transporter les gens. Je rêve. Mais pourquoi, un de ces jours, on n’aurait pas la couverture sociale pour eux comme pour les chauffeurs et receveurs de bus, les gens de maisons et tous les autres qui travaillent mais qui n’ont aucun droit?

Bref, les pousses-pousses ne doivent pas disparaitre des villes de Madagascar. Je ne serais, même, pas contre leur envahissement, à nouveau, d’Antananarivo. Mais il faudrait juste que ce soit bien planifié mais pas que cela s’installe juste sauvagement.

 

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