Madagascar : le banquet du nouvel an du président est (déjà) gâté

Article : Madagascar : le banquet du nouvel an du président est (déjà) gâté
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6 janvier 2016

Madagascar : le banquet du nouvel an du président est (déjà) gâté

A Madagascar, comme chaque année, la Présidence malgache va accueillir ses invités au grand palais d’Iavoloha pour fêter le nouvel an. Mais cette année, rien n’est plus comme avant.

Chaque année, c’est une fête grandiose qui est préparée. Il y a des discours, il y a des animations, il y a de la danse, dont l’obligatoire afindrafindrao, et il y a le banquet. Depuis un certain temps, tout cela est retransmis en direct à la télévision. Les Malgaches de toute l’île peuvent, alors, admirer les convives, envier les élus et saliver en les voyant remplir leurs panse et leurs sacs en plastique.

Il n’y a pas grand chose qui change, cette année. A l’heure où j’écris, les préparatifs vont bon train et aux dernières nouvelles, ce banquet aura lieu. Mais déjà, les blagueurs sur les réseaux sociaux se demandent comment les invités vont faire sans sacs en plastique. Je vous explique. Certains Malgaches ont l’habitude de ramener de la nourriture à la maison après une fête. Cette pratique est pourtant jugée honteuse par la société. Lors des précédentes retransmissions télévisées des banquets d’Iavoloha (le palais présidentiel), on pouvait voir certains invités remplir des sacs en plastique, bien avant la fin de la fête. Aujourd’hui, les sacs en plastique sont interdits à la vente à Madagascar, d’où ces plaisanteries.

Mais plus qu’une simple plaisanterie, les oppositions à la tenue de telles fêtes se multiplient, se durcissent, se radicalisent presque. Ce n’est pas nouveau, un texte de 2015 dans une média local a annonçait déjà la couleur. Des mots, comme « dilapidation », « gabegie » retentissent année après année et le président semble ne rien entendre. Cette année, les textes sont plus virulents. Les invités sont d’avance hués, insultés, voire maudits. Un média local les appelle, par exemple, des « poera poara » qui est intraduisible mais vous pouvez imaginer un dindon qui fait la cour à la dinde.

Sur Facebook, cette image a été partagée des milliers de fois :

Banquet du vendredi 08 janvier 2016 au Palais d’État de Iavoloha : Annulez car cela dilapide notre argent!

Il faut lire les commentaires pour se rendre compte à quel point certains Malgaches sont indignés par cette fête. Et malheureusement, l’amalgame est toujours de mise. Pour nombre d’entre eux, les fautifs, si faute il y a, n’est pas seulement le président, ni le gouvernement, mais aussi tous les invités qui acceptent de participer à ces « coupables » orgies. Pour dire combien cette situation inspire les Malgaches, comme illustration, je vais vous traduire ce poème que j’ai vu sur une page facebook.

Tonokalo

 

 

OZONA SY KAFARAM-BAHOAKA (Malédiction et plaintes contre l’État de la part du peuple)

Dia mandry ve ny sainareo ry mpilalao politika?? Avez-vous l’esprit tranquille, joueurs de politique ?
Amin’ity fako @ taonina fa tsy mba an-tsobika Avec ces tas d’ordures qu’on mesure en tonnes et non plus en sacs
Nefa ianareo andeha hamoky tena @ hanim-pitoloha Alors que vous allez vous rassasier lors un buffet
Matikambo @ 60milion ariarinay fa oetsy Iavoloha A Iavoloha, fiers de vos 60 millions d’Ariary à dépenser

Alahelombahoaka no hamenoana kibo C’est avec la tristesse du peuple que vous remplissez vos ventres
Dia irangirango tia tena no tsy hanao karibo Pour vous empiffrer d’égoïsme sans dire karibo (bienvenue)
Efa itanay eto indray fa ampiesona sy hihira On vous vois déjà dormir (discours) et chanter
Be palitao nefa MAIMBO ZAORIDIRA Avec vos grands costumes qui SENTENT L’ORDURE

Ka hoy ny ozonay vahoaka manao hoe: Le sort que jette le peuple sur vous est :
Hiola-tsinay anie nareo ka hivalana be Que vos intestins se tordent et que vous ayez la diarrhée
Hisotro ianareo ka ihinana Vous allez boire et manger
Harary kibo ipiriritra ka itongilangilana Que votre ventre vous fasse mal et vous fasse plier
Tsara kafara tompoko andairan’ny ozona Si bien contestés, messeigneurs, que la malédiction va opérer
Hiziha-kibo,kibotaina toy ny trozona Que vos ventres gonflent, que vous soyez gonflés comme la baleine
Handoa ra hioaka eran’ny trano Que vous vomissiez du sang, que vous en crachiez dans toute la salle
Fa hanina feno ozona hapiditra anareo angano Car c’est un repas maudit qui vous apportera malheur

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/0d/Iavoloha_palace.jpg
Le palais d’Iavoloha

Il faut comprendre le peuple quand des initiatives comme celle-là trouve de tels échos. Il y a tant de paradoxes dans ce pays. Des paradoxes curieux peut-être, mais surtout  perçus comme des injustices. Le peuple malgache est parmi les plus pauvres du monde, alors que ses administrateurs se permettent de faire une fête grandiose dans un des plus beaux palais d’État d’Afrique et peut-être du monde. En cette saison de pluie, la situation des Malgaches est des moins enviables avec le mauvais état des routes, les bas quartiers inondés, les ordures qui s’amassent, les virus et bactéries qui pullulent, les maisons qui s’effondrent et la faim toujours présente. Ce n’est pas seulement une question de l’alahelon-kanina (convoitises du repas de l’autre) mais une vraie prise de conscience de la réalité de la pauvreté.

De l’autre côté, est-il possible pour le président et pour le gouvernement d’annuler le banquet du nouvel an? D’abord, c’est une tradition. Fêter le nouvel an est une pratique datant des rois et une marque de souveraineté. Une invitation ou une non invitation a des significations hautement politiques. Et il ne faut pas oublier que c’est une occasion pour le chef de l’État de créer ou de consolider ses relations avec des personnalités influentes, des diplomates et des financiers.

Que dire de la somme de 60 milliards d’ariary qui circule sur les réseaux sociaux? Je ne connais pas le budget officiel mais dans le texte de l’année dernière, un journaliste a calculé un minimum de 45 millions. Je pense que 60 milliard est juste une somme farfelue, qui sert d’effet d’annonce, car il serait impossible de débourser 40 millions d’ariary (11 000 Euro) par invité en une journée, même en lui faisant manger du caviar à la louche et boire du champagne en fût, mais qui sait? Disons que 100 millions d’ariary, cela fait déjà une belle somme, qui pourrait être bien mieux dépensée ailleurs. Divisé par les milliers d’invités, cela correspond aux prix actuels d’un très bon buffet de mariage ou d’un excellent buffet de restaurant huppé.

L’analyse est donc simple. Le banquet du nouvel an, pour ses détracteurs, est juste un prétexte. Ce que ces gens espèrent c’est que le gouvernement et les dirigeants se montrent plus concernés par les problèmes du peuple car ce qui est perçu c’est plutôt un clivage, un fossé qui les sépare d’eux. Et le banquet est une illustration, une bonne métaphore, pour désigner qui sont les élus, les privilégiés, et qui sont le reste du monde. De la même manière, la beauté du palais dans la banlieue sud contraste fortement avec les rues abîmées et couvertes de boues et de détritus de la ville d’Antananarivo. Sa beauté est une preuve que les politiciens ne font pas assez pour améliorer le quotidien des Malgaches. Ils ne pensent qu’à eux-même.

A chacun d’en tirer une leçon. Oui, le message est, cette fois-ci, plus fort, plus criard. Je ne sais pas si la leçon a été apprise ou si elle a atteint les oreilles de sourds. Les dirigeants du pays doivent montrer leurs engagements contre la pauvreté et pour le bien-être de la société. Même si l’annulation du traditionnel banquet du nouvel an n’est pas une solution définitive, il faut afficher cette volonté en faveur du peuple,  au quotidien. On ne pourra jamais reprocher au peuple de s’exprimer à sa façon. La réaction, souvent au premier degré, des Malgaches s’inscrit dans nos mœurs d’insulaires. On n’est pas très nombreux et notre valeur première est le fihavanana (la famille, comme Ohana chez les Hawaiens). C’est pour cela que tout ce qui se passe ici concerne tout le monde. Et si les dirigeants montrent le bon exemple, il est à parier que tous suivront, naturellement.

Pour finir, j’aimerais, via mon blog, ne pas maudire les invités au banquet. Parmi eux, il y a ceux qui sont déjà fortement engagés dans le développement de Madagascar. Il y a de bons citoyens qui mériteraient plus qu’un simple banquet et d’autres qui n’ont pas demandé à être présents mais qui doivent l’être pour le travail. Je vous dit « bon appétit! » car je sais bien que cette année, l’ambiance est un peu pourrie.

 

 

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